des cornes de toutes les figures, de grands ongles crochus, des
peaux seches de dragons ailes, et de longs becs d'oiseaux de toute
espece. Je me rappellai aussi-tot ce que j'avois lu dans les romans,
des griffons, des centaures, des hippogriffes, des dragons volans,
des harpies, des satyres, et d'autres animaux semblables, et je
commencai a me flatter que je n'etois pas loin du pays que je
cherchois. Ce qui me confirma dans cette idee, c'est qu'un moment
apres je vis sortir de l'ouverture d'un antre un centaure, qui
venant droit a l'endroit que j'observois, y jetta une grande
carcasse d'hippogriffe qu'il avoit apportee sur son dos, apres quoi
il se retira, et s'enfonca dans l'antre d'ou il etoit sorti. Quoique
je connusse parfaitement les centaures, par les lectures que j'avois
faites, et que d'ailleurs je ne manque point de courage, j'avoue que
cette premiere vue me causa quelque emotion; je me cachai meme
derriere un rocher pour observer le centaure jusqu'a ce qu'il se fut
retire; mais alors reprenant mes esprits, et m'armant de resolution:
qu'ai-je a craindre, dis-je en moi-meme, de ce centaure? J'ai lu
dans tous les romans que les centaures sont les meilleures gens du
monde. Loin d'etre ennemis des hommes, ils sont toujours disposes a
leur rendre service, et a leur apprendre mille secrets curieux,
temoin le centaure Chiron. Peut-etre celui-ci me portera-t-il au
pays des romans; du moins il ne refusera pas de me tirer de ces
horribles lieux. Je marchai aussi-tot vers l'antre, et m'arretant a
l'entree, je l'appellai a haute voix en ces termes: "charitable
centaure, si votre coeur peut etre touche par la pitie, soyez
sensible au malheur d'un prince qui implore votre generosite. C'est
le Prince Fan-Feredin qui vous appelle". Mais j'eus beau appeller et
elever ma voix, personne ne parut.
Plein d'inquietude et d'une frayeur secrete, j'entrai dans la
caverne, et je vis que c'etoit un chemin souterrain qui s'enfoncoit
beaucoup sous la montagne. Quel parti prendre? Je n'en trouvai pas
d'autre que de suivre le centaure, jugeant qu'il n'etoit pas
possible que je ne le rencontrasse, ou que je ne me fisse bien-tot
entendre a lui. Mais avouerai-je ici ma foiblesse, ou ne l'avouerai-
je pas? Faut-il parler ou me taire? Voila une de ces situations
difficiles, ou j'ai souvent vu dans les romans les heros qui
racontent leurs avantures, et dont on ne connoit bien l'embarras que
lorsqu'on l'eprouve soi-meme. Apres tout, comme j'ai re
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