oir de mauvaises
subtilites contre des faits si averes. Voici dequoi achever de les
confondre, c'est que considerant un certain endroit de la riviere,
et trouvant qu'il eut ete a propos d'y faire un pont, je fus tout
etonne d'en voir un tout fait dans le moment meme; de sorte qu'on
n'a jamais rien vu de si commode.
Cependant je continuai ma route, et je puis dire, sans exageration,
qu'a chaque pas je rencontrai de nouveaux sujets d'admiration.
J'appercus entr'autres un endroit dans la prairie qui me parut un
peu plus cultive. J'eus la curiosite d'en approcher, et je trouvai
une fontaine. L'eau m'en parut si pure et si belle, que ne doutant
pas qu'elle ne fut excellente, j'en voulus gouter; mais que ne
sentis-je pas dans le moment au dedans de moi-meme! Quelle ardeur,
quels transports, quels mouvemens inconnus, quels feux! Ces feux
avoient a la verite quelque chose de doux, et il me semble que j'y
trouvois du plaisir; mais ils etoient en meme-tems si vifs et si
inquiets, que ne me possedant plus moi-meme, et tombant
alternativement de la plus vive agitation dans une profonde reverie,
je marchois au travers de la prairie sans scavoir precisement ou
j'allois. Je rencontrai ainsi une seconde fontaine, et je ne scais
quel mouvement me porta a boire aussi de son eau. Mais a peine en
eus-je avale quelques gouttes, que je me trouvai tout change. Il me
sembla que mon coeur etoit enveloppe d'une vapeur noire, et que mon
esprit se couvroit d'un nuage sombre. Je sentis des transports
furieux, et des mouvemens confus de haine et d'aversion pour tous
les objets qui se presentoient. Ce changement m'ouvrit les yeux. Je
me rappellai ce que j'avois lu des fontaines de l'amour et de la
haine, et je ne doutai plus que ce ne fussent celles dont je venois
de boire. Alors me souvenant que j'avois aussi lu que le lac
d'indifference ne devoit pas etre eloigne des deux fontaines, je me
hatai de le chercher, et l'ayant rencontre (car dans ce pays-la on
rencontre toujours tout ce qu'on cherche) j'en bus seulement
quelques gouttes dans le creux de ma main, et dans l'instant rendu a
moi-meme, je sentis un calme doux et tranquille succeder au trouble
qui m'avoit agite.
Je ne dis rien des plantes singulieres que j'observai. On scait
assez que le pays en est tout couvert. Ce n'est que dans la romancie
qu'on trouve la fameuse herbe moly, et le celebre lotos. Les plantes
memes que nous connoissons, et qui croissent aussi dans ce pays-la,
y ont une
|