caractere des habitans
de la romancie, qui sont les plus parfaits des amants. En voici les
principaux traits que je vais rapporter, pour en ebaucher seulement
le portrait.
Ils ont le talent de s'occuper fort serieusement pendant tout un
jour, et un mois entier s'il le faut, de la plus petite bagatelle.
Ils pleurent volontiers pour la moindre chose; un regard
indifferent, un mot equivoque les fait fondre en larmes: c'est
qu'ils sont en effet extremement delicats et sensibles. La plupart
sont en meme-tems si inquiets, qu'ils ne scavent pas eux-memes ce
qu'ils desirent, ni ce qui leur manque. Ils voudroient et ils ne
voudroient pas: on a beau leur assurer vingt fois une chose;
doivent-ils croire ce qu'on leur dit, ou s'en defier? Doivent-ils
s'affliger ou se rejoueir? Sont-ils satisfaits ou non? Voila ce
qu'ils ne scavent jamais. Jaloux a l'exces, si quelqu'un par hazard
a dit un mot a leur princesse, ou si par malheur elle a jette un
regard sur quelqu'un, toute leur tendresse se change en fureur.
Adieu toutes les assurances et tous les sermens passes. Adieu les
lettres, les billets, les bracelets, les portraits, tout est oublie
de part et d'autre, dechire, mis en pieces; on ne veut plus se voir,
on ne veut pas meme en entendre parler... a moins pourtant qu'il ne
s'en presente quelque occasion; et par le plus grand bonheur du
monde, il ne manque jamais de s'en presenter quelqu'une. Comment
faire alors? Il faut s'eclaircir; et l'eclaircissement fait, il faut
bien se raccommoder: a tout raccommodement il y a toujours de petits
frais; la princesse les prend sur son compte; et voila la paix faite
jusqu'a nouvelle avanture. Mais ce qu'il y a de plus dangereux en
cette matiere, c'est lorsque l'un des deux s'obstine malicieusement
a cacher a l'autre le sujet de son mecontentement secret, comme la
trop credule et trop taciturne Fanny fit il y a quelque-tems, a son
trop melancolique et sombre amant; car cela donne toujours lieu aux
plus tragiques avantures. Il est vrai que sans cela le triste heros
auroit eu de la peine a parvenir a son cinquieme volume; mais n'est-
ce pas aussi acheter trop cher l'avantage de faire un volume de
plus? Je pourrois ajouter encore ici quelques autres traits du
caractere des romanciens; qu'ils sont naturellement reveurs et
distraits; qu'ils aiment beaucoup a jurer, et que les sermens ne
leur coutent rien. Qu'ils les oublient pourtant assez aisement
lorsqu'ils ont obtenu ce qu'ils desirent, et d'aut
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