r hazard entrer par la petite porte, et la trouvant
ouverte, se doute de quelque chose. On devine aisement tout le
reste: grand bruit; on attaque, on se defend, on apporte des
flambeaux, le cavalier ne se bat qu'en retraite; mais il a beau
faire, il faut de necessite, et c'est encore la une regle capitale,
que le frere ou le pere de celle qu'il adore, s'enferre lui-meme
dans l'epee de l'infortune cavalier. Or jugez combien il faut
d'annees pour raccommoder une pareille avanture. Il faut en
attendant aller servir en Flandre ou en Hongrie. Autre inconvenient;
car en Flandre il est cru mort dans une bataille, et la desolee
Leonore apres s'etre arrache tous les cheveux de la tete pendant six
mois, prend enfin quelque parti funeste a son amant. En Hongrie on
est fait prisonnier et envoye esclave en Turquie pour y travailler
au jardin, ou a entretenir la proprete des appartemens.
Je vous avoue prince, dis-je, au grand paladin, que de toutes les
epreuves, cette derniere est celle que j'aimerois le mieux: car j'ai
remarque que de tous ceux qui partent de la Romancie pour aller etre
esclaves en Turquie, a Tripoli ou a Alger, il n'y en a aucun qui ne
fasse fortune.
Cela est vrai, repliqua-t-il; mais remarquez aussi qu'avant que de
partir, il n'y en a pas un qui ne prenne la precaution de scavoir
bien danser, d'avoir une belle voix, de joueer des instrumens dans la
perfection, et d'etre aimable et bien-fait. C'est par-la que tout
leur reussit. On fait voir l'esclave etranger a la sultane favorite
pour la rejoueir. Or l'esclave est un homme si admirable, et toutes
ces sultanes ont le coeur si tendre, qu'en moins de rien voila une
intrigue toute faite, et un pauvre sultan fort peu respecte. La
condition leur plairoit assez, si elle pouvoit durer; mais il n'y a
pas moyen: les loix de la Romancie sont extremement severes sur ce
chapitre; il faut que le sultan, averti ou non, entre dans le serail
et menace de tout tuer. Quel tintamare! Ce ne sera pourtant que du
bruit. On l'a entendu venir: la sultane craignant pour sa vie,
trouve le moyen de s'enfuir avec son charmant Bezibezu (c'est le nom
de l'esclave), et ils sont deja bien loin. En quatre jours la belle
maroquine arrive a Marseille ou a Barcelone; et le lendemain elle
est presentee au bapteme. La seule chose qui me deplait dans cette
avanture, c'est que les loix veulent encore que le coffre de
pierreries que la belle maure a emporte avec elle soit jette a la
mer, ce qui la re
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