e autrefois une chose
assez commune du tems d'Esope, de Phedre, et d'un francois appelle
La Fontaine, qui avoient le secret de les faire parler, aussi-bien
et quelquefois mieux que les hommes memes. Mais il semble que
degoutees de cet usage, elles ayent pour ainsi dire perdu la parole,
sur-tout depuis qu'un autre francois nomme L M s'est avise de leur
faire parler un langage peu naturel et force, qu'on a quelquefois de
la peine a entendre. Il ne laisse pourtant pas de se trouver encore
parmi elles quelques babillardes qui parlent autant et plus qu'on ne
voudroit; et tout recemment, une taupe vient de se rendre ridicule
par son babil extravagant, quoique quelques-uns ayent pretendu
qu'elle n'a fait qu'en copier une autre.
Tandis que le Prince Zazaraphe m'entretenoit ainsi, il me prit une
envie de bailler si prodigieuse, qu'il me fallut malgre mes efforts,
ceder au mouvement naturel. Ah ah! Dit-il en riant, vous voila deja
pris de la maladie du pays, c'est de bonne heure; mais de grace ne
vous contraignez point, car personne ici ne vous en scaura mauvais
gre. C'est dans la Romancie un mal inevitable pour peu qu'on y fasse
de sejour, a peu pres comme le mal de mer pour ceux qui font un
premier voyage sur cet element. Comme le Prince Zazaraph achevoit de
parler, il se mit lui-meme a bailler si demesurement, que je ne pus
m'empecher d'en rire a mon tour. Je vois bien, lui dis-je, que cette
maladie est en effet assez commune dans la Romancie. Mais je ne
comprens pas comment on peut y etre sujet dans un pays si rempli de
merveilles; c'est aussi, me repondit-il, ce qui embarasse les
physiciens dans l'explication de ce phenomene, d'autant plus qu'on a
observe que dans les endroits ou il y a le plus de merveilles,
entassees les unes sur les autres, par exemple dans la province
peruvienne, c'est-la precisement que l'on baille le plus. Les
medecins de leur cote n'ont encore pu trouver d'autre remede a ce
mal, que de changer d'air. Il faut pourtant que je vous fasse voir
auparavant un de nos bois d'amour: car c'est a peu pres ce qui vous
reste a voir de particulier dans le canton ou nous sommes.
CHAPITRE 8
Des bois d'amour.
Comme nous etions donc deja hors de la foret, nous tournames nos pas
vers un bois charmant qui etoit dans la plaine. C'etoit un de ces
bois d'amour dont le prince venoit de parler, et on en trouve dans
tous les quartiers de la Romancie beaucoup de semblables qu'on a
plantes pour la commodite des amans
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