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Comme tous ceux qui habitent la Romancie se trouvent toujours
pourvus de tout ce qui est necessaire pour leur subsistance, sans
qu'ils se donnent seulement la peine d'y penser, vous devez juger
que les ouvriers de ce pays-ci ne s'amusent pas a faire des etoffes,
de la toile, des meubles, du pain, ou de la farine. Leur occupation
est beaucoup plus douce; et il y en a differentes especes, les
enfileurs, les souffleurs, les brodeurs, les ravaudeurs, les
enlumineurs, les faiseurs de lanternes magiques, les montreurs de
curiosite, et quelques autres encore.
Vous me dites la, lui dis-je, des noms de metiers dont je ne concois
pas bien l'usage en ce pays-ci. Je vais vous l'expliquer, me
repartit-il.
Nous appellons ici enfileurs des ouvriers qui y sont assez communs
depuis un tems. Ces gens-la assemblent de divers endroits une
vingtaine ou une trentaine de petits riens, qu'ils ont l'adresse
d'enfiler et de coudre ensemble, et voila leur ouvrage fait. Les
souffleurs au contraire ne prennent qu'un de ces petits riens; mais
ils ont l'art de l'enfler, et de l'etendre en le soufflant, a peu
pres comme les enfans font des bouteilles de savon, en sorte que
d'une matiere qui d'elle-meme n'est presque rien, ils en font un
gros ouvrage. Ces ouvrages comme on voit ne peuvent pas etre fort
solides; mais ils ne laissent pas d'amuser des esprits oisifs. Les
femmes sur tout et les enfans aiment a voir voltiger en l'air ces
petites bouteilles enflees. Mais il est vrai que ce n'est qu'un
eclat d'un moment, et qu'on ne s'en ressouvient pas le lendemain.
L'ouvrage des brodeurs est d'une autre espece. Ils font venir de
quelque pays etranger quelques morceaux rares et curieux, dont ils
ornent le fond d'une broderie de dessein courant, qui ne laisse
presque plus distinguer le fond de la broderie meme. Les ravaudeurs
sont moins ingenieux. Tout leur art consiste a donner quelque air de
nouveaute a des choses deja vieilles et usees; c'est pourtant
aujourd'hui l'espece d'ouvriers qui est en plus grand nombre.
Les vrais peintres sont ici fort rares; mais en recompense nous
avons des enlumineurs admirables, qui sont employes a enluminer des
couleurs les plus brillantes, soit les portraits, soit les figures,
ou les tableaux d'imagination. Il ne faut pas demander a ces gens-la
des portraits ressemblans, ni des tableaux dans le vrai; ce n'est
pas leur metier. Mais personne n'entend comme eux, l'art de charger
un tableau de rouge et de blanc,
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