ille; et sur-tout ces expressions qui sont les plus
commodes de toutes, que je ne puis exprimer, qu'on ne scauroit
imaginer, qu'il est difficile de se representer, qui surpasse toute
expression, au-dessus de tout ce qu'on peut dire, au de-la de tout
ce qu'on peut penser; avec ce petit recueil, on aura de quoi
composer un livre in-folio en langue romancienne. Il y a pourtant
une observation a faire, c'est qu'il faut tacher de n'allier aux
mots que des epithetes convenables; car si quelqu'un par exemple,
s'avisoit de dire une chere et delicieuse tristesse, cela feroit une
expression ridicule et mal assortie.
CHAPITRE 6
De la haute et basse Romancie.
Les diverses reflexions que nous fimes sur la langue romancienne,
donnerent occasion au Prince Zazaraph de m'apprendre un point de
geographie que j'ignorois; c'est qu'il y avoit une haute et basse
Romancie.
Nous sommes ici, me dit-il, dans la haute Romancie, et elle est
aisee a distinguer de la basse par toutes les merveilles dont elle
est remplie, et que vous avez du remarquer en venant ici; au lieu
que la basse Romancie est assez semblable a tous les pays du monde.
Car par exemple dans la basse Romancie une prairie est une prairie,
et un ruisseau n'est qu'un ruisseau: mais dans la haute Romancie une
prairie est essentiellement emaillee de fleurs, ou du moins couverte
d'un beau gazon, et un ruisseau ne manque jamais de rouler des eaux
d'argent ou de crystal sur de petits cailloux pour leur faire faire
un doux murmure qui endorme les amans, ou qui reveille les oiseaux.
Mais, ajouta-t-il, vous serez peut-etre bien aise d'apprendre
l'origine de cette distinction. Il est vrai, lui dis-je, car tout ce
que je vois et ce que j'entends, ne fait qu'exciter de plus en plus
ma curiosite. Je le concois aisement, reprit-il, et je crains meme
que vous ne me fassiez secretement un crime de vous arreter si long-
tems dans cette foret ou vous ne voyez rien de nouveau, au lieu de
vous mener a quelque habitation. Levons-nous donc, et nous
continuerons en marchant notre conversation.
Autrefois, continua-t-il, la Romancie etoit un pays fort borne.
Aussi n'y recevoit-on que peu d'habitans, encore etoient-ils tous
choisis entre les princes et les heros les plus celebres. On se
souvient du nom et des avantures de ces premiers habitans de la
Romancie, entr'autres d'Artus et des chevaliers de la table ronde,
Palmerin d'Olive, et Palmerin d'Angleterre, Primalem de Grece,
Perceforet, Amad
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