ixer toutes mes courses dans un si beau lieu, pour y couler le
reste de mes jours dans la paix et l'innocence, et gouter a jamais
les douceurs d'un repos tranquille. Je ne suis pas meme le premier a
qui cette pensee soit venue a l'esprit, a la simple lecture des
biens parfaits que l'innocente simplicite fait trouver au bord des
fontaines, dans les pres, dans les bois et les forets; mais faisant
reflexion que je serois toujours le maitre de choisir quand je
voudrois ce genre de vie, et que j'avois encore un grand pays a
parcourir, je continuai ma route.
Je remarquai en chemin quelques taureaux sans cornes, parce qu'on
les leur avoit arrachees pour en faire des cornes d'abondance. Je
vis d'autres taureaux qui avoient des cornes et des pieds d'airain,
des vaches d'une beaute admirable qui descendoient de la fameuse Io:
plusieurs chevres Amalthees, des cerberes ou grands chiens a trois
tetes, des chats bottes, des singes verds; et sur-tout je vis d'un
peu loin dans un petit lac une hydre effroyable qui avoit sept
tetes, dont chacune ouvroit une gueule terrible armee de dents
venimeuses et tranchantes. Comme je n'avois ni la massue d'Hercule,
ni aucune epee enchantee, je n'eus garde de m'en approcher. Je me
hatai meme de m'en eloigner, et cela me donna occasion de rencontrer
enfin des habitans du pays.
CHAPITRE 4
Des habitans de la romancie.
J'etois surpris de n'avoir encore rencontre que des betes, excepte
les bergers dont je viens de parler. Je scavois bien en general que
les romanciens sont grands voyageurs; mais je ne pouvois pourtant
pas m'imaginer que le pays fut absolument desert. Enfin regardant au
loin de tous cotes, j'appercus un endroit qui me parut fort peuple.
C'etoit en effet un lieu de promenade, ou un nombre considerable
d'habitans des deux sexes, avoit coutume de se rendre pour prendre
le frais. Je m'y acheminai, et j'eus le plaisir en chemin de
verifier par moi-meme ce que j'avois toujours eu quelque peine a
croire, que les fleurs naissent sous les pas des belles. Car je
remarquai sur la terre plusieurs traces de fleurs encore fraiches,
qui aboutissoient au lieu de la promenade, et qui n'avoient surement
pas d'autre origine. Le lieu meme ou les belles se promenoient, en
etoit tout couvert; et dans la romancie on ne connoit point d'autre
secret pour avoir en toute saison des jardins et des parterres des
plus belles fleurs. Je trouvai tout le monde partage en diverses
compagnies de quatre, de troi
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