autres personnes qui racontent
aussi les leurs, cela fournit insensiblement la matiere d'un volume
de juste grosseur. Ce petit echantillon suffit pour donner quelque
idee des listes dont je viens de parler, et il seroit inutile de
l'etendre d'avantage. Mais une chose dont il faut avertir les
voyageurs, et en general tous les heros romanciens, c'est qu'ils
doivent avoir une memoire heureuse, pour se souvenir fidelement de
tous ceux avec qui ils ont eu des le commencement quelque liaison
particuliere, ou qui leur ont commence le recit de leurs avantures
sans pouvoir l'achever. Car ce seroit une chose extremement
indecente d'oublier ces gens-la, et de n'en plus faire mention. Un
voyageur auroit beau dire qu'il les a laisses a la Chine, ou dans le
fond de la Tartarie, il faut ou qu'il aille les retrouver, ou qu'ils
viennent le chercher, fut-ce des extremites du Japon. En un mot il
faudroit les faire tomber des nues plutot que d'y manquer. Les turcs
en particulier sont fort religieux sur cet article, et j'en connois
un qui pour rejoindre son homme, fit tout expres le voyage d'Amasie
en Hollande. J'ai aussi ete moi-meme si scrupuleux sur cela,
qu'ayant perdu, comme on a vu, mon cheval la veille de mon entree
dans la Romancie, je n'ai pas manque de le retrouver a la sortie du
pays, comme on verra dans la suite. Il y a pourtant un moyen de se
debarasser de bonne heure de ces importuns qui interviennent dans
une histoire, et dont on ne scait plus que faire; c'est de les tuer
tout aussitot, ou de les faire mourir de maladie. Mais a dire le
vrai, l'expedient est odieux, et on a scu mauvais gre a un des
derniers voyageurs, d'avoir fait inhumainement mourir tant de monde.
Mais a propos de memoire, je m'appercois que je parle tout seul, et
j'oublie que j'ai un compagnon qui auroit du partager avec moi le
recit que je viens de faire. J'en demande pardon a mes lecteurs, et
je vais reparer ma faute dans le chapitre suivant. Il est pourtant
bon d'avertir que nous autres ecrivains romanciens, ne connoissons
aucune de ces belles regles que Lucien et tant d'autres ont donnees
pour ecrire l'histoire, par la raison que nous avons un privilege
particulier pour ecrire tout ce qui nous vient a l'esprit, sans nous
mettre en peine de ce qu'on appelle ordre, plan, methode, precision,
vrai-semblance, ni de ce qui doit suivre ou de ce qui doit preceder;
d'autant plus que nous avons toujours a notre disposition la date
des faits pour l'avancer, ou l
|