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ames les plus intrepides. En vain se flateroit-on de pouvoir tromper
leur vigilance; ils ont toujours les yeux ouverts, et ne connoissent
pas les douceurs du sommeil. D'un autre cote entreprendre de les
forcer, c'est s'exposer a une mort certaine; de sorte qu'il faut
renoncer a l'espoir de cueillir jamais des fruits si precieux, a
moins qu'on ne soit favorise de quelque protection particuliere:
alors il n'y a rien de si aise. Une petite herbe qu'on porte sur
soi, un miroir qu'on montre au dragon ou au geant, une baguette dont
on les touche, un brevage qu'on leur presente, le moindre petit
charme les assoupit; apres quoi il est facile de leur couper la
tete, et de se mettre ainsi en possession de tous les tresors dont
ils sont les gardiens. Je dois pourtant avertir que ce que j'en dis
ici n'est que sur le rapport d'autrui; car comme ces arbres sont
fort rares, je n'en ai point trouve sur ma route, et je n'ai eu
d'ailleurs aucun interet d'en aller chercher. Mais une chose que
j'ai vue, et qu'on doit regarder comme certaine, c'est le gout que
les arbres ont dans ce pays-la pour la musique. Voici un fait qui
m'est arrive, et qui me causa dans le tems beaucoup de surprise.
Un jour que je m'etois abandonne au sommeil dans un charmant bocage
de jeunes maronniers, je fus fort etonne a mon reveil de me trouver
expose aux ardeurs du soleil, et entierement a decouvert, sans que
je pusse imaginer ce qu'etoient devenus les arbres qui m'avoient
prete leur ombre il n'y avoit qu'un moment. Mais en regardant de
tous cotes, je les appercus deja un peu loin qui marchoient comme en
cadence vers une petite plaine, ou un excellent joueur de luth les
attiroit a lui, par le son harmonieux de son instrument. Quelques
rochers s'etoient mis de leur compagnie avec tout ce qu'il y avoit
de lions, de tigres et d'ours dans ce canton. C'est un des
spectacles qui m'ayent fait le plus de plaisir dans tout le cours de
mon voyage.
Pour ce qui est de ce que j'avois entendu raconter a un historien
celebre, que les arbres avoient entr'eux une langue fort
intelligible pour s'entretenir ensemble, lorsqu'un vent doux et
leger agitoit l'extremite de leurs branches, j'ai eu beau m'y rendre
attentif dans les diverses forets que j'ai vues; il faut ou que
cette observation m'ait echappe, ou plutot que le fait ne soit pas
vrai, d'autant plus que cet historien n'est pas toujours exact dans
ses recits. Il n'en est pas ainsi de ceux qui ont assure que le
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