e joye ou l'on
nage comme en pleine eau, des delices inexprimables. Qu'on ne
s'avise point alors d'aller offrir a un amant le throne de Perse, ou
l'empire de Trebizonde, a condition d'abandonner la souveraine de
son ame, ce seroit tems perdu. Il ne changeroit pas son sort pour la
plus brillante fortune. Il prefere un si doux esclavage a la plus
belle couronne de l'univers.
CHAPITRE 11
Des grandes epreuves; et ressemblance singuliere qui fera soupconner
aux lecteurs le denouement de cette histoire.
Je ne puis assez admirer, dis-je au Prince Zazaraph, le talent que
vous avez de rapprocher les choses, et de les abreger. Car ce que
vous venez de me dire en si peu de paroles, non-seulement je l'ai vu
dans plus de vingt romans differens, mais il y occupe des volumes
entiers. Ce n'est pas que j'aye le talent d'abreger, me repondit-il,
mais c'est que d'une part la plupart des romans sont tous faits sur
le meme modele, et que de l'autre leurs auteurs ont le talent
d'allonger tellement les evenemens et les recits, qu'ils font un
volume de ce qui ne fourniroit que quatre pages a un ecrivain qui
n'entend pas comme eux l'art de la diffuse prolixite.
Remarquez pourtant, ajouta-t-il, que je ne vous ai encore parle que
des formalites preliminaires, et qu'avant que d'arriver a la
conclusion du mariage, il reste bien du chemin a faire. Car comme
dans un labyrinthe on scait fort bien par ou l'on entre, et que l'on
ignore par ou l'on en sortira: ainsi ceux qui s'embarquent sur la
mer orageuse de l'amour, scavent bien d'ou ils sont partis, mais ils
ne scavent point par ou, comment, ni quand ils arriveront au port.
Deux jeunes personnes s'aiment comme deux tourterelles. Elles
semblent faites l'une pour l'autre. Elles mourront si on les separe:
destin barbare! Faut-il... mais non, ce n'est point au destin qu'il
faut s'en prendre, c'est aux loix etablies de tout tems dans la
Romancie par les premiers fondateurs de la nation: loix severes, qui
defendent sous peine de bannissement perpetuel de proceder a l'union
conjugale de deux personnes qui s'adorent, avant que d'avoir passe
par les grandes epreuves prescrites dans l'ordonnance.
Sans doute, dis-je alors au prince dondindandinois, j'aurai vu dans
les romans ce que vous appellez les grandes epreuves; mais je serai
bien aise de les connoitre plus distinctement, et d'apprendre de
vous surquoi est fondee cette loy; et si elle est indispensable.
Si vous avez lu, me dit-il, les avant
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