-memes paroissent les moins sensees, on aura
des heros de la Romancie une idee beaucoup plus avantageuse.
Ici j'interrompis le grand paladin. Que vois-je, lui dis-je! Apres
le tragique, n'est-ce pas du comique qui se presente ici a nous?
Qu'est-ce, je vous prie, que ces bandes de hannetons, de
sauterelles, ou de grosses fourmis que je vois traverser la foret,
comme une petite armee qui defile? Quelle espece d'insectes est-ce
la?
Insectes, repondit le Prince Zazaraph en riant. De grace traitez
plus honnetement une espece qui n'est rien moins qu'une espece
humaine. N'avez-vous jamais ouei parler des liliputiens? Les voila.
Ces pauvres petits avortons de la nature humaine s'etoient etablis
dans la Romancie, et sembloient d'abord y faire fortune; mais il
faut sans doute que l'air du pays leur soit contraire: ils n'ont
jamais pu s'y multiplier, et desesperes de voir leur race
s'eteindre, ils ont enfin pris le parti d'aller s'etablir ailleurs.
Prenons garde en passant, ajouta-t-il, d'en ecraser quelques-uns
sous nos pieds; car c'est-la tout le danger que l'on court a les
rencontrer. Mais il n'en est pas de meme des brobdingnagiens. Ces
geants monstrueux par un contraste bizarre s'etablirent dans la
Romancie en meme-tems que les liliputiens; et comme eux ils ont ete
obliges de chercher une autre demeure, le pays entier ne pouvant
suffire a leur subsistance; mais malheur a tout ce qui s'est trouve
sur leur passage. On ne scauroit exprimer le ravage que ces colosses
effroyables ont fait dans toute leur route, ecrasant les chateaux
sous leurs pieds, comme nous ecrasons une motte de terre, et brisant
tous les arbres des forets, comme des elephans briseroient des epics
de froment en traversant les campagnes. On ne scait pas trop quel
motif avoit engage les uns et les autres a s'etablir dans la
Romancie; n'ayant d'autre merite pour se distinguer, sinon, les uns
une petitesse qui faisoit rire, et les autres une grandeur
gigantesque qui faisoit horreur. Aussi les voit-on partir sans qu'on
s'empresse de les retenir, et tout ce que l'on en dit, c'est que ce
n'etoit pas la peine de faire un si grand voyage, pour apprendre ce
qu'on scavoit deja; qu'il n'y a point dans le monde de grandeur
absolue, et que la taille grande ou petite est une chose
indifferente a la nature humaine.
A propos de cela, dis-je au Prince Zazaraph, n'ai-je pas ouei dire
que les betes parlent dans ce pays-ci?
Rien n'est plus vrai, me dit-il, et c'etoit mem
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