a reculer comme il nous plait. C'est
ce qui me fait admirer la precaution qu'a prise un de nos modernes
annalistes, de mettre a la tete de son histoire une preface
raisonnee, pour justifier fort serieusement les faits qu'il y
rapporte, comme si on ne scavoit pas qu'en qualite d'annaliste
romancien il a droit de dire les choses les moins vrai-semblables,
sans qu'on ait celui de s'en formaliser.
CHAPITRE 10
Des trente-six formalites preliminaires qui doivent preceder les
propositions de mariage.
Tandis que le grand paladin de la Dondindandie et moi nous voyagions
par les airs, bien montes sur nos grandes sauterelles, il me demanda
si mon dessein n'etoit pas de choisir quelque belle princesse de la
Romancie pour en faire mon epouse. Sans doute, lui dis-je, et ca ete
en partie le motif qui m'a fait entreprendre ce voyage. Je m'en suis
doute, me repondit-il, d'autant plus qu'il vous sera difficile de
voir toutes les beautes dont ce pays-ci est peuple, sans que votre
coeur se declare pour quelqu'une. Mais disposez-vous a la patience,
et ne perdez point de tems. Car la traitte est longue depuis le jour
qu'on commence a aimer, jusqu'a celui ou l'on s'epouse. Il est vrai,
lui dis-je, que ces longueurs m'ont quelquefois impatiente dans les
avantures de Theagene, de Cyrus, de Cleopatre, et de plusieurs
autres. Mais ne puis-je pas abreger les formalites... eh si, me
repondit-il, vous sieroit-il de ne faire qu'un petit chapitre des
mille et une nuit, ou des contes chinois. Non, prince, ajouta-t-il,
les gens de notre condition sur tout doivent faire les choses dans
les grandes regles, et passer par tous les degres de la milice
amoureuse. Il est pourtant permis quelquefois de leur en abreger le
tems.
Mais puisque nous sommes sur ce chapitre, il est a propos de vous
mettre d'avance au fait des loix principales qu'il faut observer en
cette matiere. C'est ce qu'on appelle les formalites preliminaires.
Il y en a qui en comptent jusqu'a trente-six et plus, mais je vais
vous les expliquer sans m'arreter a les compter. Vous comprenez
bien, continua-t-il, qu'il faut commencer par devenir amoureux. Or
cela est fort plaisant; car on l'est quelquefois une annee entiere
sans le scavoir, et il y en a tel qui ne s'en doute seulement pas.
S'il a arrete ses regards sur une personne, c'est sans dessein: s'il
l'a trouvee extremement aimable, ses sentimens se sont bornes a
l'estime et a l'admiration; tout au plus il croit n'avoir pour elle
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