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arbres servoient de demeure a des divinites champetres; car c'est un
fait avere, dont j'ai ete souvent temoin. Rien meme n'est plus
commun sur le soir, lorsque la lune commence a eclairer les ombres
de la nuit, que de voir sur tout les chenes s'entrouvrir, pour
laisser sortir de leur sein les dryades qui y passent la journee, et
se rouvrir le matin a la pointe du jour, pour les recevoir apres
qu'elles ont danse dans les champs avec les nayades. Comme il est
aise de distinguer les arbres habites de ceux qui ne le sont pas,
ils sont extremement respectes, et nul mortel n'a la hardiesse d'y
toucher. Si quelque temeraire osoit y porter la coignee, on en
verroit aussi-tot le sang couler en abondance; mais son impiete
seroit bien-tot punie. Les faunes ont aussi leurs arbres comme les
dryades, et il y a des marques pour les distinguer. Mais cela ne
laisse pas de donner quelquefois occasion a des jeux fort plaisants.
Au retour du bal un jeune faune va s'emparer de l'arbre d'une
dryade. La dryade arrive et frape a son arbre pour le faire ouvrir.
Qui va la? La place est prise. Il faut composer. La dryade s'en
defend, s'echappe, et court se saisir a son tour du logement d'une
autre dryade. Celle-ci survient et fait du bruit, pendant lequel le
faune sortant doucement, vient par derriere pour la surprendre. Mais
elle s'en appercoit et s'enfuit. Le faune court apres; pendant qu'il
court, la premiere dryade regagne son arbre. Celle qui est
poursuivie en gagne un autre si elle peut; mais enfin il y a
toujours une derniere arrivee qui paye pour les autres, et le jeu
finit ainsi. C'est a ce petit divertissement que nous sommes
redevables du jeu qu'on appelle aux quatre coins. Au reste, ce n'est
que pour quelques momens qu'il peut etre permis a ces divinites de
se deloger ainsi. Car elles sont toutes obligees par les loix de
leur condition naturelle, de vivre et de mourir avec leurs arbres,
sans pouvoir s'en separer autrement que par la mort. Il ne faut
pourtant pas croire qu'elles meurent reellement; leur mort ne
consiste qu'a passer sous quelque autre forme, lorsque l'arbre perit
enfin de vieillesse, ou par quelque accident. On distingue ainsi les
vieilles divinites des plus jeunes, et on reconnoit meme a la
disposition de l'arbre celles de la divinite qui l'habite, c'est-a-
dire, si elle est heureuse ou non. On me fit remarquer entr'autres
un tremble, qui etoit habite par un faune des plus sages et des plus
vertueux de son espece. I
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