ns me sont devenus indifferens. Fuyez-moi, j'y consens, et meme
je vous le conseille. Dieux! Quel fut l'etonnement de Sonotraspio!
Un coup subit de tonnerre cause moins de consternation a des femmes
timides, qu'un orage imprevu surprend dans une vaste campagne. Il
douta quelque-tems: il crut avoir mal entendu; mais son doute ne fut
pas long. Tigrine s'expliqua, et le fit avec toute la durete
imaginable. Alors penetre de douleur, et le desespoir peint dans ses
yeux, vous me permettez donc de vous fuir, lui dit-il; il en est
bien tems cruelle, apres que... ses sanglots ne lui permirent pas
d'achever, et Tigrine meme s'eloigna pour ne pas l'entendre. Ni les
larmes, ni les prieres les plus tendres ne purent la flechir, ni lui
persuader meme d'accorder a un malheureux, du moins pour une
derniere fois, quelque marque de bonte. Elle n'en parut au contraire
que plus fiere et plus dedaigneuse. Enfin l'infortune Sonotraspio
outre de depit et de douleur, s'est abandonne a tout ce que le
desespoir peut inspirer a un amant injustement maltraite. En vain il
s'efforce de se rappeller les sages lecons de la philosophie. Occupe
continuellement de son malheur, on le voit pour se distraire,
chercher tantot la solitude, tantot la dissipation, en courant comme
un insense toute la Romancie. Il deteste le jour ou il vit Tigrine
pour la premiere fois; il s'efforce de l'oublier; il voudroit la
hair; mais rien ne lui reussit: la blessure est trop profonde, et il
y a lieu de craindre qu'il n'en guerisse jamais. En verite, dis-je
alors au Prince Zazaraph, le pauvre Sonotraspio me fait pitie, je
voudrois que Tigrine ou ne lui eut jamais rien accorde, ou ne lui
eut pas refuse pour une derniere fois, quelques faveurs legeres;
mais, ajoutai-je, il ne faudroit pas beaucoup d'exemples semblables
pour decrediter la Romancie. Vous avez bien raison, me dit-il, car
on seroit tente de regarder tous ses habitans comme des fous; mais
c'est un effet de l'injustice et de l'ignorance des hommes; car il
est vrai qu'a ne consulter que la raison et les maximes de la
sagesse, il faut taxer de folie et d'egarement pitoyable, toute la
suite des beaux sentimens et des procedes reciproques de deux amans;
mais si d'une part on s'en rapporte a nos annalistes, dont
l'autorite est d'un poids d'autant plus grand, qu'il y en a
plusieurs qui ont un caractere respectable; et si de l'autre on en
juge par la facon toute sublime dont ils scavent embellir les
passions, qui par elles
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