ecouteroient seulement pas. Mais ils
sont bien differens dans la romancie. J'en rencontrai dans mon
chemin un amas assez considerable, et comme ma curiosite me portoit
a tout observer, je m'en approchai pour les considerer de plus pres.
Je voulus meme en tater quelques-uns de la main; mais quel fut mon
etonnement de les trouver si tendres, qu'ils cedoient a l'effort de
ma main comme du gazon ou de la laine. J'avoue que ce phenomene me
parut si etrange, que j'en jettai un cri d'etonnement, et je ne
l'aurois jamais compris si on ne me l'avoit explique depuis. C'est
qu'il etoit venu la veille un amant des plus malheureux et des plus
eloquens du pays conter a ces rochers ses tourmens; et son recit
etoit si touchant, ses accens douloureux si pitoyables, que les
rochers n'avoient pu y resister malgre toute leur durete naturelle.
Les uns s'etoient fendus de haut en bas, les autres s'etoient
laisses fondre comme de la cire, et les plus durs s'etoient
attendris et amollis au point que je viens de dire. Si les rochers
de la romancie sont si sensibles, il est aise de juger quelle doit
etre en ce pays-la la complaisance des echos pour ceux qui ont a
leur parler. Il n'y a rien de si aimable ni de si docile. Ils
repetent tout ce que l'ont veut. Si vous chantez, ils chantent; si
vous vous plaignez, ils se plaignent avec vous. Ils n'attendent pas
meme pour repondre que vous ayez acheve de parler, et plutot que de
laisser un pauvre amoureux parler seul, ils s'entretiendront avec
lui une journee entiere. C'est une des grandes ressources qu'on ait
dans ce pays-la, quand on n'a personne a qui l'on puisse confier ses
peines secretes. Il n'y a qu'a aller trouver un echo, sur-tout si
c'est un echo femelle, et en voila pour aussi long-tems qu'on veut.
CHAPITRE 3
Suite du chapitre precedent.
Les arbres de la romancie sont en general a peu pres faits comme les
notres; mais il y a pourtant sur cela des remarques importantes a
faire. Car outre que leur feueillage est toujours d'un beau verd,
leur ombrage delicieux, leurs fruits beaucoup meilleurs que les
notres, c'est dans la romancie seule qu'on trouve de ces arbres si
precieux et si rares, dont les uns portent des rameaux d'or, et les
autres des pommes d'or. Mais il est vrai que s'il est rare de les
rencontrer, il est encore plus difficile d'en approcher et d'en
cueillir les fruits, parce qu'ils sont tous gardes par des dragons
ou des geants terribles, dont la vue seule porte la frayeu
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