ain, soupconneux, jaloux ou satisfait. Tout cela
exprime longuement avec le pour et le contre, le ouei et le non, le
vuide et le plein, le clair et l'obscur, fait un discours qui
enchante. Ce sont mille petits riens, dont chacun ne dit que tres-
peu de chose; mais tous ces petits riens, toutes ces petites choses
mises bout a bout font un effet merveilleux. Il est vrai qu'il faut
scavoir la langue du pays, comme je dirai bien-tot, sans quoi il
vous echappe beaucoup de beautes et de traits d'esprit; mais aussi
quand on la possede une fois, on goute une satisfaction infinie;
c'est du moins mon avis, sauf au lecteur de penser autrement, s'il
le juge a propos; car il ne faut pas, dit-on, disputer des gouts.
Je passerai legerement sur la nourriture des romanciens: elle est
fort simple, comme j'ai dit ailleurs; et en effet quand on aime, et
encore plus quand on est aime, qu'a-t-on besoin de boire et de
manger? Je ne dirai rien non plus de leur habillement. Il est pour
l'ordinaire assez neglige, par la raison que dans la romancie,
l'habillement recherche n'ajoute jamais rien aux charmes d'une
personne: ce sont toujours au contraire ses graces naturelles qui
relevent son ajustement. Mais quelques princesses ont dans ce pays-
la un privilege assez singulier, c'est de pouvoir s'habiller en
hommes, et de courir ainsi le monde pendant des annees entieres avec
des cavaliers et des soldats, dans les cabarets et les lieux les
plus dangereux, sans choquer la bienseance. Ces sortes de
deguisemens etoient meme autrefois estimes, et sur-tout, si la
demoiselle sous un habit de cavalier venoit a rencontrer un amant
sous un habit de demoiselle; cela faisoit un evenement si singulier,
si nouveau et si ingenieusement imagine, qu'on ne manquoit jamais
d'y applaudir; mais ce que les lecteurs seront sans doute bien aises
de connoitre, c'est le caractere du peuple romancien. Il y a eu de
la mechancete a celui qui le premier a represente le dieu d'amour
comme un enfant; car il semble qu'il ait voulu insinuer par-la, que
l'amour n'est que puerilite, et que les amants ressemblent a des
enfans. Mais a qui le persuadera-t-on, lorsqu'il est si bien prouve
par le temoignage des plus graves auteurs, que de toutes les
passions, l'amour est la plus belle et la plus heroique, jusques-la
que depuis long-tems, tous les heros du theatre, et meme ceux de
l'opera, semblent ne connoitre aucune autre passion que pour la
forme; mais on en jugera encore mieux par le
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