l avoit meme, disoit-on, des qualites assez
aimables; mais apres avoir long-tems vecu dans l'indifference, il
avoit eu le malheur d'aimer, et pendant plusieurs annees il n'avoit
ressenti que les tourmens de l'amour, sans en eprouver jamais les
plaisirs. Le chagrin et le desespoir avoient enfin surmonte son
courage et sa raison. Il languissoit sans esperance de vivre long-
tems, ou plutot si quelque chose pouvoit encore lui plaire, c'etoit
l'espoir de mourir bientot, et on s'en appercevoit a la paleur de
ses feueilles, a la secheresse de ses branches et de sa cime, qui
commencoit deja a se depoueiller de verdure.
En continuant de marcher, je rencontrai quelques ruisseaux de lait
et de miel. Ils sont assez communs dans ce pays-la; et comme j'en
avois souvent entendu parler, je n'en fus pas beaucoup etonne; mais
j'ignorois quelle pouvoit etre la source de ces ruisseaux charmans,
et j'eus le plaisir de la voir de mes yeux. C'est que dans la
romancie les vaches et les chevres sont si abondantes en lait,
qu'elles en rendent continuellement d'elles-memes, sans qu'on se
donne la peine de les traire; de sorte que des qu'il y en a
seulement une douzaine ensemble, elles forment en moins de rien un
ruisseau de lait assez considerable. Les ruisseaux de miel sont
formes a-peu-pres de la meme maniere. Les abeilles s'attachent a un
arbre pour y faire leur miel, et elles en font une si prodigieuse
quantite, que les goutes qui en tombent sans cesse, forment un
ruisseau. Cela me donna occasion de considerer de plus pres les
troupeaux qui paissoient dans la prairie. Je puis assurer qu'ils en
valoient bien la peine, et on le croira aisement, puisque je vis en
effet dans ce pays-la tous les animaux qu'on ne voit pas ici. Les
troupeaux etoient separes selon leurs especes differentes en
differens parcs.
Je considerai d'abord un haras de chevaux, et j'en remarquai de
trois sortes. La premiere etoit de chevaux assez semblables aux
notres, mais d'une beaute incomparable. Ils etoient tous si vifs et
si ardens, que leur haleine paroissoit enflammee, et ce qui m'etonna
le plus, c'est qu'ils sont d'une agilite si surprenante, qu'ils
courent sur un champ couvert d'epis, sans en rompre un seul. Aussi
ne sont-ils pas engendres selon les loix ordinaires de la nature.
Ils n'ont d'autre pere que le zephyre, et pour en perpetuer la race,
il ne faut qu'exposer les cavalles lorsque ce vent souffle, et elles
sont aussi-tot pleines. Il seroit sans doute bi
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