elles furent les pensees qui me vinrent a l'esprit, et je ne tardai
pas a les mettre en execution. Apres m'etre muni secretement de tout
ce que je crus necessaire pour mon voyage, je partis pendant une
belle nuit au clair de la lune, pour tenter, en parcourant le monde,
la decouverte que je meditois. Je traversai beaucoup de plaines, je
passai beaucoup de montagnes; je rencontrai dans mon chemin des
chateaux et des villes sans nombre; mais ne trouvant par-tout que
des pays semblables a ceux que je connoissois deja, et des peuples
qui n'avoient rien de singulier, je commencai enfin a m'ennuyer de
la longueur de mes recherches. J'avois beau m'informer et demander
des nouvelles du pays des romans; les uns me repondoient qu'ils ne
le connoissoient pas meme de nom: les autres me disoient qu'a la
verite ils en avoient entendu parler, mais qu'ils ignoroient dans
quel lieu du monde il etoit situe. La seule chose qui soutenoit mon
courage dans la longueur et la difficulte de l'entreprise, c'est la
reflexion que je faisois, qu'apres tout il falloit bien que la
romancie fut quelque part, et que ce ne pouvoit pas etre une
chimere. Car enfin, disois-je, si ce pays n'existoit pas reellement,
il faudroit donc traiter de visions ridicules et de fables pueriles
tout ce qu'on lit dans les romans. Quelle apparence! Eh! Que
faudroit-il donc penser de tant de personnes si raisonnables
d'ailleurs qui ont tant de gout pour ces lectures, et de tant de
gens d'esprit qui employent leurs talens a composer de pareils
ouvrages? Cependant malgre ces reflexions, j'avoue que je fus
quelquefois sur le point de me repentir de mon entreprise, et qu'il
s'en fallut peu que je ne prisse la resolution de retourner sur mes
pas. Mais non, me dis-je, encore une fois a moi-meme: apres en avoir
tant fait, il seroit honteux de reculer. Que scais-je si je ne
touche pas au terme tant desire? J'y touchois en effet sans le
scavoir, et voici comment la chose arriva par un accident bizare,
qui par-tout ailleurs m'auroit coute la vie.
Apres avoir monte pendant plusieurs heures les grandes montagnes de
la Troximanie, j'arrivai enfin avec beaucoup de peine jusqu'a leur
cime, conduisant mon cheval par la bride. La, je sentis tout-a-coup
que la terre me manquoit sous les pieds; en effet mon cheval roula
d'un cote de la montagne, et je culbutai de l'autre, sans scavoir ce
que je devins depuis ce moment jusqu'a celui ou je me trouvai au
fond d'un affreux precipice, environne
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