n
aux beaux yeux qui ont enchaine sa liberte. Car il est vrai qu'il
est en effet d'une tres-haute naissance, et le legitime heritier
d'un grand royaume, comme il sera verifie en tems et lieu: il est
certain d'ailleurs que la princesse l'adore dans le fond du coeur,
et qu'elle maudit secretement le rang eminent qui lui ote
l'esperance d'etre jamais l'epouse d'un cavalier si parfait; mais
d'une part le cavalier ignore sa naissance, et la princesse qui
l'ignore aussi ne peut l'ecouter avec bienseance, quand meme il
auroit l'audace de s'expliquer. Or cela fait une situation
admirable, qui fournit la matiere des plus beaux sentimens: aussi
nos annalistes l'ont-ils tournee et retournee en cent facons
differentes.
Vous voyez donc, ajouta le grand paladin, que les formalites sont
plus longues que vous ne pensez; mais ce n'est pourtant encore la
que le commencement; la grande difficulte consiste a declarer sa
passion. Car comment ferez-vous? Irez-vous dire grossierement a une
belle personne que vous la trouvez charmante, adorable: que vous
l'aimez de l'amour le plus tendre et le plus respectueux, et que
vous vous croyriez le plus heureux des hommes de pouvoir la posseder
le reste de vos jours. Gardez-vous en bien, ce seroit pour la faire
mourir de chagrin, et elle ne vous le pardonneroit jamais de sa vie.
Il faut pourtant bien le lui faire entendre; mais il faut s'y
prendre avec tant de precaution et si doucement, qu'elle ne s'en
appercoive presque pas. Il faut qu'elle le devine, ou tout au plus
qu'elle s'en doute un peu. Le langage des yeux est admirable pour
cela, lorsqu'on en scait faire usage et prendre son tems: par
exemple, la belle est a sa fenetre ou sur un balcon, ou elle prend
le frais: rodez a l'entour sans faire semblant de rien, et quand
vous etes a portee, tirez-lui une reverence respectueuse,
accompagnee d'un regard moitie vif, et moitie mourant. Vous verrez
que vous n'aurez pas fait cela dix ou douze fois, qu'elle se doutera
de quelque chose: car il ne faut pas croire que les belles soient si
peu intelligentes. La plupart comprennent fort bien ce qu'on leur
dit, souvent meme ce qu'on ne leur dit pas, et il y en a qui de cent
oeillades qu'on leur adresse, ne perdent pas une seule syllabe.
Mais, repris-je a mon tour, a ce premier moyen ne pourroit-on pas en
ajouter un second, qui est celui des serenades pendant la nuit sous
les fenetres du but de ses desirs? Comment, dites-vous, me repondit
le prince en souri
|