tout ce qui entoure son existence, pour se preparer uniquement a traverser,
avec plus ou moins d'heroisme, une ou deux heures exceptionnelles. En
morale, il faut avant tout s'attacher aux devoirs qui reviennent tous les
jours, aux actes fraternels qui ne s'epuisent pas. A ce point de vue, dans
la marche ordinaire de la vie, la seule chose dont nous puissions offrir
une part sans cesse renaissante aux ames heureuses ou malheureuses de ceux
qui s'avancent a nos cotes le long des memes routes, c'est la force, la
confiance, l'independance apaisee de notre ame. C'est pourquoi le plus
humble des hommes est oblige d'entretenir et d'agrandir son ame, comme s'il
savait qu'un jour elle dut etre appelee a consoler ou rejouir un Dieu.
Quand il s'agit de preparer une ame, il faut toujours la preparer pour une
mission divine. En ce domaine seul, et a cette condition, se fait le
veritable don de l'homme et s'accomplit le sacrifice par excellence. Et
quand son heure sonne, croyez-vous que ce que donne alors Socrate ou
Marc-Aurele, qui vecut mille vies, ayant fait mille fois le tour de sa vie,
ne vaille pas mille fois tout ce que peut donner celui qui n'a pas fait un
pas dans sa conscience; et que s'il est un Dieu, il pese seulement le
sacrifice au poids du sang de notre corps, et que le sang de l'ame, qui est
sa vertu, son sentiment d'elle-meme, toute sa vie morale, et toute la force
qu'elle a accumulee durant bien des annees, n'ait aucune valeur?
LXIX
Ce n'est pas en se sacrifiant que l'ame devient plus grande; mais c'est en
devenant plus grande qu'elle perd de vue le sacrifice, comme le voyageur
qui s'eleve perd de vue les fleurs du ravin. Le sacrifice est un beau signe
d'inquietude, mais il ne faut pas cultiver l'inquietude pour elle-meme.
Tout est sacrifice aux ames qui s'eveillent; bien peu de choses portent
encore le nom de sacrifice pour une ame qui a su trouver une vie dont le
devouement, la pitie et l'abnegation ne sont plus les racines
indispensables mais les fleurs invisibles. En verite, trop d'etres
eprouvent le besoin de detruire, meme inutilement, un bonheur, un amour, un
espoir qui leur appartient, pour s'apercevoir a la clarte des flammes de
l'holocauste. On dirait qu'ils portent une lampe dont ils ne savent pas
l'usage; et lorsque la nuit tombe, et qu'ils sont avides de lumiere, ils
en repandent la substance sur un feu etranger.
Evitons d'agir comme ce gardien du phare de la legende, qui distribuait aux
pau
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