ntourait la maladie
de ma grand'mere lui semblait un peu pauvre, bonne pour une maladie sur
un petit theatre de province.
Il y eut un moment ou les troubles de l'uremie se porterent sur les yeux
de ma grand'mere. Pendant quelques jours, elle ne vit plus du tout. Ses
yeux n'etaient nullement ceux d'une aveugle et restaient les memes. Et
je compris seulement qu'elle ne voyait pas, a l'etrangete d'un certain
sourire d'accueil qu'elle avait des qu'on ouvrait la porte, jusqu'a ce
qu'on lui eut pris la main pour lui dire bonjour, sourire qui
commencait trop tot et restait stereotype sur ses levres, fixe, mais
toujours de face et tachant a etre vu de partout, parce qu'il n'y avait
plus l'aide du regard pour le regler, lui indiquer le moment, la
direction, le mettre au point, le faire varier au fur et a mesure du
changement de place ou d'expression de la personne qui venait d'entrer;
parce qu'il restait seul, sans sourire des yeux qui eut detourne un peu
de lui l'attention du visiteur, et prenait par la, dans sa gaucherie,
une importance excessive, donnant l'impression d'une amabilite exageree.
Puis la vue revint completement, des yeux le mal nomade passa aux
oreilles. Pendant quelques jours, ma grand'mere fut sourde. Et comme
elle avait peur d'etre surprise par l'entree soudaine de quelqu'un
qu'elle n'aurait pas entendu venir, a tout moment (bien que couchee du
cote du mur) elle detournait brusquement la tete vers la porte. Mais le
mouvement de son cou etait maladroit, car on ne se fait pas en quelques
jours a cette transposition, sinon de regarder les bruits, du moins
d'ecouter avec les yeux. Enfin les douleurs diminuerent, mais l'embarras
de la parole augmenta. On etait oblige de faire repeter a ma grand'mere
a peu pres tout ce qu'elle disait.
Maintenant ma grand'mere, sentant qu'on ne la comprenait plus, renoncait
a prononcer un seul mot et restait immobile. Quand elle m'apercevait,
elle avait une sorte de sursaut comme ceux qui tout d'un coup manquent
d'air, elle voulait me parler, mais n'articulait que des sons
inintelligibles. Alors, domptee par son impuissance meme, elle laissait
retomber sa tete, s'allongeait a plat sur le lit, le visage grave, de
marbre, les mains immobiles sur le drap, ou s'occupant d'une action
toute materielle comme de s'essuyer les doigts avec son mouchoir. Elle
ne voulait pas penser. Puis elle commenca a avoir une agitation
constante. Elle desirait sans cesse se lever. Mais on l'empechait,
au
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