ans sa noble redingote
noire, le professeur entrait, triste sans affectation, ne donnait pas
une seule condoleance qu'on eut pu croire feinte et ne commettait pas
non plus la plus legere infraction au tact. Aux pieds d'un lit de mort,
c'etait lui et non le duc de Guermantes qui etait le grand seigneur.
Apres avoir regarde ma grand'mere sans la fatiguer, et avec un exces de
reserve qui etait une politesse au medecin traitant, il dit a voix basse
quelques mots a mon pere, s'inclina respectueusement devant ma mere, a
qui je sentis que mon pere se retenait pour ne pas dire: "Le professeur
Dieulafoy". Mais deja celui-ci avait detourne la tete, ne voulant pas
importuner, et sortit de la plus belle facon du monde, en prenant
simplement le cachet qu'on lui remit. Il n'avait pas eu l'air de le
voir, et nous-memes nous demandames un moment si nous le lui avions
remis tant il avait mis de la souplesse d'un prestidigitateur a le faire
disparaitre, sans pour cela perdre rien de sa gravite plutot accrue de
grand consultant a la longue redingote a revers de soie, a la belle tete
pleine d'une noble commiseration. Sa lenteur et sa vivacite montraient
que, si cent visites l'attendaient encore, il ne voulait pas avoir l'air
presse. Car il etait le tact, l'intelligence et la bonte memes. Cet
homme eminent n'est plus. D'autres medecins, d'autres professeurs ont pu
l'egaler, le depasser peut-etre. Mais l'"emploi" ou son savoir, ses dons
physiques, sa haute education le faisaient triompher, n'existe plus,
faute de successeurs qui aient su le tenir. Maman n'avait meme pas
apercu M. Dieulafoy, tout ce qui n'etait pas ma grand'mere n'existant
pas. Je me souviens (et j'anticipe ici) qu'au cimetiere, ou on la vit,
comme une apparition surnaturelle, s'approcher timidement de la tombe et
semblant regarder un etre envole qui etait deja loin d'elle, mon pere
lui ayant dit: "Le pere Norpois est venu a la maison, a l'eglise, au
cimetiere, il a manque une commission tres importante pour lui, tu
devrais lui dire un mot, cela le toucherait beaucoup", ma mere, quand
l'ambassadeur s'inclina vers elle, ne put que pencher avec douceur son
visage qui n'avait pas pleure. Deux jours plus tot--et pour anticiper
encore avant de revenir a l'instant meme aupres du lit ou la malade
agonisait--pendant qu'on veillait ma grand'mere morte, Francoise, qui,
ne niant pas absolument les revenants, s'effrayait au moindre bruit,
disait: "Il me semble que c'est elle." Mais au lieu
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