rand'mere s'agiterent,
elle fut parcourue tout entiere d'un long frisson, soit reflexe, soit
que certaines tendresses aient leur hyperesthesie qui reconnait a
travers le voile de l'inconscience ce qu'elles n'ont presque pas besoin
des sens pour cherir. Tout d'un coup ma grand'mere se dressa a demi, fit
un effort violent, comme quelqu'un qui defend sa vie. Francoise ne put
resister a cette vue et eclata en sanglots. Me rappelant ce que le
medecin avait dit, je voulus la faire sortir de la chambre. A ce moment,
ma grand'mere ouvrit les yeux. Je me precipitai sur Francoise pour
cacher ses pleurs, pendant que mes parents parleraient a la malade. Le
bruit de l'oxygene s'etait tu, le medecin s'eloigna du lit. Ma
grand'mere etait morte.
Quelques heures plus tard, Francoise put une derniere fois et sans les
faire souffrir peigner ces beaux cheveux qui grisonnaient seulement et
jusqu'ici avaient semble etre moins ages qu'elle. Mais maintenant, au
contraire, ils etaient seuls a imposer la couronne de la vieillesse sur
le visage redevenu jeune d'ou avaient disparu les rides, les
contractions, les empatements, les tensions, les flechissements que,
depuis tant d'annees, lui avait ajoutes la souffrance. Comme au temps
lointain ou ses parents lui avaient choisi un epoux, elle avait les
traits delicatement traces par la purete et la soumission, les joues
brillantes d'une chaste esperance, d'un reve de bonheur, meme d'une
innocente gaiete, que les annees avaient peu a peu detruits. La vie en
se retirant venait d'emporter les desillusions de la vie. Un sourire
semblait pose sur les levres de ma grand'mere. Sur ce lit funebre, la
mort, comme le sculpteur du moyen age, l'avait couchee sous l'apparence
d'une jeune fille.
CHAPITRE DEUXIEME
VISITE D'ALBERTINE. PERSPECTIVE D'UN RICHE MARIAGE POUR QUELQUES AMIS DE
SAINT-LOUP. L'ESPRIT DES GUERMANTES DEVANT LA PRINCESSE DE PARME.
ETRANGE VISITE A M. DE CHARLUS. JE COMPRENDS DE MOINS EN MOINS SON
CARACTERE. LES SOULIERS ROUGES DE LA DUCHESSE.
Bien que ce fut simplement un dimanche d'automne, je venais de renaitre,
l'existence etait intacte devant moi, car dans la matinee, apres une
serie de jours doux, il avait fait un brouillard froid qui ne s'etait
leve que vers midi. Or, un changement de temps suffit a recreer le monde
et nous-meme. Jadis, quand le vent soufflait dans ma cheminee,
j'ecoutais les coups qu'il frappait contre la trappe avec autant
d'emotion que si, pareils aux fa
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