tant qu'on pouvait, de le faire, de peur qu'elle ne se rendit compte
de sa paralysie. Un jour qu'on l'avait laissee un instant seule, je la
trouvai, debout, en chemise de nuit, qui essayait d'ouvrir la fenetre.
A Balbec, un jour ou on avait sauve malgre elle une veuve qui s'etait
jetee a l'eau, elle m'avait dit (mue peut-etre par un de ces
pressentiments que nous lisons parfois dans le mystere si obscur
pourtant de notre vie organique, mais ou il semble que se reflete
l'avenir) qu'elle ne connaissait pas cruaute pareille a celle d'arracher
une desesperee a la mort qu'elle a voulue et de la rendre a son martyre.
Nous n'eumes que le temps de saisir ma grand'mere, elle soutint contre
ma mere une lutte presque brutale, puis vaincue, rassise de force dans
un fauteuil, elle cessa de vouloir, de regretter, son visage redevint
impassible et elle se mit a enlever soigneusement les poils de fourrure
qu'avait laisses sur sa chemise de nuit un manteau qu'on avait jete sur
elle.
Son regard changea tout a fait, souvent inquiet, plaintif, hagard, ce
n'etait plus son regard d'autrefois, c'etait le regard maussade d'une
vieille femme qui radote....
A force de lui demander si elle ne desirait pas etre coiffee, Francoise
finit par se persuader que la demande venait de ma grand'mere. Elle
apporta des brosses, des peignes, de l'eau de Cologne, un peignoir. Elle
disait: "Cela ne peut pas fatiguer Madame Amedee, que je la peigne; si
faible qu'on soit on peut toujours etre peignee." C'est-a-dire, on n'est
jamais trop faible pour qu'une autre personne ne puisse, en ce qui la
concerne, vous peigner. Mais quand j'entrai dans la chambre, je vis
entre les mains cruelles de Francoise, ravie comme si elle etait en
train de rendre la sante a ma grand'mere, sous l'eplorement d'une
vieille chevelure qui n'avait pas la force de supporter le contact du
peigne, une tete qui, incapable de garder la pose qu'on lui donnait,
s'ecroulait dans un tourbillon incessant ou l'epuisement des forces
alternait avec la douleur. Je sentis que le moment ou Francoise allait
avoir termine s'approchait et je n'osai pas la hater en lui disant:
"C'est assez", de peur qu'elle ne me desobeit. Mais en revanche je me
precipitai quand, pour que ma grand'mere vit si elle se trouvait bien
coiffee, Francoise, innocemment feroce, approcha une glace. Je fus
d'abord heureux d'avoir pu l'arracher a temps de ses mains, avant que ma
grand'mere, de qui on avait soigneusement eloigne t
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