uelques-uns de ces soupirs plus humains qui,
liberes a l'approche de la mort, font croire a des impressions de
souffrance ou de bonheur chez ceux qui deja ne sentent plus, et venaient
ajouter un accent plus melodieux, mais sans changer son rythme, a cette
longue phrase qui s'elevait, montait encore, puis retombait pour
s'elancer de nouveau de la poitrine allegee, a la poursuite de
l'oxygene. Puis, parvenu si haut, prolonge avec tant de force, le chant,
mele d'un murmure de supplication dans la volupte, semblait a certains
moments s'arreter tout a fait comme une source s'epuise.
Francoise, quand elle avait un grand chagrin, eprouvait le besoin si
inutile, mais ne possedait pas l'art si simple, de l'exprimer. Jugeant
ma grand'mere tout a fait perdue, c'etait ses impressions a elle,
Francoise, qu'elle tenait a nous faire connaitre. Et elle ne savait que
repeter: "Cela me fait quelque chose", du meme ton dont elle disait,
quand elle avait pris trop de soupe aux choux: "J'ai comme un poids sur
l'estomac", ce qui dans les deux cas etait plus naturel qu'elle ne
semblait le croire. Si faiblement traduit, son chagrin n'en etait pas
moins tres grand, aggrave d'ailleurs par l'ennui que sa fille, retenue a
Combray (que la jeune Parisienne appelait maintenant la "cambrousse" et
ou elle se sentait devenir "petrousse"), ne put vraisemblablement
revenir pour la ceremonie mortuaire que Francoise sentait devoir etre
quelque chose de superbe. Sachant que nous nous epanchions peu, elle
avait a tout hasard convoque d'avance Jupien pour tous les soirs de la
semaine. Elle savait qu'il ne serait pas libre a l'heure de
l'enterrement. Elle voulait du moins, au retour, le lui "raconter".
Depuis plusieurs nuits mon pere, mon grand-pere, un de nos cousins
veillaient et ne sortaient plus de la maison. Leur devouement continu
finissait par prendre un masque d'indifference, et l'interminable
oisivete autour de cette agonie leur faisait tenir ces memes propos qui
sont inseparables d'un sejour prolonge dans un wagon de chemin de fer.
D'ailleurs ce cousin (le neveu de ma grand'tante) excitait chez moi
autant d'antipathie qu'il meritait et obtenait generalement d'estime.
On le "trouvait" toujours dans les circonstances graves, et il etait si
assidu aupres des mourants que les familles, pretendant qu'il etait
delicat de sante, malgre son apparence robuste, sa voix de basse-taille
et sa barbe de sapeur, le conjuraient toujours avec les periphrases
d'us
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