n homme qui acheve un blesse et
d'un qui le secourt, entre un portrait sublime ou affreux.) Sans savoir
si j'avais a faire honneur et savoir gre de son changement d'attitude a
quelque bienfaiteur involontaire qui, un de ces mois derniers, a Paris
ou a Balbec, avait travaille pour moi, je pensai que la facon dont nous
etions places etait la principale cause de ce changement. C'en fut
pourtant une autre que me fournit Albertine; exactement celle-ci: "Ah!
c'est qu'a ce moment-la, a Balbec, je ne vous connaissais pas, je
pouvais croire que vous aviez de mauvaises intentions." Cette raison me
laissa perplexe. Albertine me la donna sans doute sincerement. Une femme
a tant de peine a reconnaitre dans les mouvements de ses membres, dans
les sensations eprouvees par son corps, au cours d'un tete-a-tete avec
un camarade, la faute inconnue ou elle tremblait qu'un etranger
premeditat de la faire tomber.
En tout cas, quelles que fussent les modifications survenues depuis
quelque temps dans sa vie, et qui eussent peut-etre explique qu'elle eut
accorde aisement a mon desir momentane et purement physique ce qu'a
Balbec elle avait avec horreur refuse a mon amour, une bien plus
etonnante se produisit en Albertine, ce soir-la meme, aussitot que ses
caresses eurent amene chez moi la satisfaction dont elle dut bien
s'apercevoir et dont j'avais meme craint qu'elle ne lui causat le petit
mouvement de repulsion et de pudeur offensee que Gilberte avait eu a un
moment semblable, derriere le massif de lauriers, aux Champs-Elysees.
Ce fut tout le contraire. Deja, au moment ou je l'avais couchee sur mon
lit et ou j'avais commence a la caresser, Albertine avait pris un air
que je ne lui connaissais pas, de bonne volonte docile, de simplicite
presque puerile. Effacant d'elle toutes preoccupations, toutes
pretentions habituelles, le moment qui precede le plaisir, pareil en
cela a celui qui suit la mort, avait rendu a ses traits rajeunis comme
l'innocence du premier age. Et sans doute tout etre dont le talent est
soudain mis en jeu devient modeste, applique et charmant; surtout si,
par ce talent, il sait nous donner un grand plaisir, il en est lui-meme
heureux, veut nous le donner bien complet. Mais dans cette expression
nouvelle du visage d'Albertine il y avait plus que du desinteressement
et de la conscience, de la generosite professionnels, une sorte de
devouement conventionnel et subit; et c'est plus loin qu'a sa propre
enfance, mais a la jeunes
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