nter les particularites que j'avais extraites de ce nom, le fait
qu'il m'avait ete interdit d'y penetrer, en m'obligeant a lui donner le
meme genre d'existence qu'aux salons dont nous avons lu la description
dans un roman, ou vu l'image dans un reve, me le faisait, meme quand
j'etais certain qu'il etait pareil a tous les autres, imaginer tout
different; entre moi et lui il y avait la barriere ou finit le reel.
Diner chez les Guermantes, c'etait comme entreprendre un voyage
longtemps desire, faire passer un desir de ma tete devant mes yeux et
lier connaissance avec un songe. Du moins eusse-je pu croire qu'il
s'agissait d'un de ces diners auxquels les maitres de maison invitent
quelqu'un en disant: "Venez, il n'y aura _absolument_ que nous",
feignant d'attribuer au paria la crainte qu'ils eprouvent de le voir
mele a leurs autres amis, et cherchant meme a transformer en un enviable
privilege reserve aux seuls intimes la quarantaine de l'exclu, malgre
lui sauvage et favorise. Je sentis, au contraire, que Mme de Guermantes
avait le desir de me faire gouter a ce qu'elle avait de plus agreable
quand elle me dit, mettant d'ailleurs devant mes yeux comme la beaute
violatre d'une arrivee chez la tante de Fabrice et le miracle d'une
presentation au comte Mosca:
--Vendredi vous ne seriez pas libre, en petit comite? Ce serait gentil.
Il y aura la princesse de Parme qui est charmante; d'abord je ne vous
inviterais pas si ce n'etait pas pour rencontrer des gens agreables.
Desertee dans les milieux mondains intermediaires qui sont livres a un
mouvement perpetuel d'ascension, la famille joue au contraire un role
important dans les milieux immobiles comme la petite bourgeoisie et
comme l'aristocratie princiere, qui ne peut chercher a s'elever puisque,
au-dessus d'elle, a son point de vue special, il n'y a rien. L'amitie
que me temoignaient "la tante Villeparisis" et Robert avait peut-etre
fait de moi pour Mme de Guermantes et ses amis, vivant toujours sur
eux-memes et dans une meme coterie, l'objet d'une attention curieuse que
je ne soupconnais pas.
Elle avait de ces parents-la une connaissance familiale, quotidienne,
vulgaire, fort differente de ce que nous imaginons, et dans laquelle, si
nous nous y trouvons compris, loin que nos actions en soient expulsees
comme le grain de poussiere de l'oeil ou la goutte d'eau de la
trachee-artere, elles peuvent rester gravees, etre commentees, racontees
encore des annees apres que nous les avo
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