int ce
jour-la. Accable de tristesse, il lisait a cote du lit des textes de
prieres et de meditations sans cependant detacher ses yeux en vrille de
la malade. A un moment ou ma grand'mere etait sans connaissance, la vue
de la tristesse de ce pretre me fit mal, et je le regardai. Il parut
surpris de ma pitie et il se produisit alors quelque chose de singulier.
Il joignit ses mains sur sa figure comme un homme absorbe dans une
meditation douloureuse, mais, comprenant que j'allais detourner de lui
les yeux, je vis qu'il avait laisse un petit ecart entre ses doigts. Et,
au moment ou mes regards le quittaient, j'apercus son oeil aigu qui
avait profite de cet abri de ses mains pour observer si ma douleur etait
sincere. Il etait embusque la comme dans l'ombre d'un confessionnal. Il
s'apercut que je le voyais et aussitot clotura hermetiquement le
grillage qu'il avait laisse entr'ouvert. Je l'ai revu plus tard, et
jamais entre nous il ne fut question de cette minute. Il fut tacitement
convenu que je n'avais pas remarque qu'il m'epiait. Chez le pretre comme
chez l'alieniste, il y a toujours quelque chose du juge d'instruction.
D'ailleurs quel est l'ami, si cher soit-il, dans le passe, commun avec
le notre, de qui il n'y ait pas de ces minutes dont nous ne trouvions
plus commode de nous persuader qu'il a du les oublier?
Le medecin fit une piqure de morphine et pour rendre la respiration
moins penible demanda des ballons d'oxygene. Ma mere, le docteur, la
soeur les tenaient dans leurs mains; des que l'un etait fini, on leur en
passait un autre. J'etais sorti un moment de la chambre. Quand je
rentrai je me trouvai comme devant un miracle. Accompagnee en sourdine
par un murmure incessant, ma grand'mere semblait nous adresser un long
chant heureux qui remplissait la chambre, rapide et musical. Je compris
bientot qu'il n'etait guere moins inconscient, qu'il etait aussi
purement mecanique, que le rale de tout a l'heure. Peut-etre
refletait-il dans une faible mesure quelque bien-etre apporte par la
morphine. Il resultait surtout, l'air ne passant plus tout a fait de la
meme facon dans les bronches, d'un changement de registre de la
respiration. Degage par la double action de l'oxygene et de la morphine,
le souffle de ma grand'mere ne peinait plus, ne geignait plus, mais vif,
leger, glissait, patineur, vers le fluide delicieux. Peut-etre a
l'haleine, insensible comme celle du vent dans la flute d'un roseau, se
melait-il, dans ce chant, q
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