nte du projet de demander a Bloch de battre sa
propre mere. Je m'avisai que non seulement par les choses qu'il disait,
mais par la maniere dont il les disait, M. de Charlus etait un peu fou.
La premiere fois qu'on entend un avocat ou un acteur, on est surpris de
leur ton tellement different de la conversation. Mais comme on se rend
compte que tout le monde trouve cela tout naturel, on ne dit rien aux
autres, on ne se dit rien a soi-meme, on se contente d'apprecier le
degre de talent. Tout au plus pense-t-on d'un acteur du
Theatre-Francais: "Pourquoi au lieu de laisser retomber son bras leve
l'a-t-il fait descendre par petites saccades coupees de repos, pendant
au moins dix minutes?" ou d'un Labori: "Pourquoi, des qu'il a ouvert la
bouche, a-t-il emis ces sons tragiques, inattendus, pour dire la chose
la plus simple?" Mais comme tout le monde admet cela _a priori_, on
n'est pas choque. De meme, en y reflechissant, on se disait que M. de
Charlus parlait de soi avec emphase, sur un ton qui n'etait nullement
celui du debit ordinaire. Il semblait qu'on eut du a toute minute lui
dire: "Mais pourquoi criez-vous si fort? pourquoi etes-vous si
insolent?" Seulement tout le monde semblait bien avoir admis tacitement
que c'etait bien ainsi. Et on entrait dans la ronde qui lui faisait fete
pendant qu'il perorait. Mais certainement a de certains moments un
etranger eut cru entendre crier un dement.
--Mais vous etes sur que vous ne confondez pas, que vous parlez bien de
mon beau-frere Palamede? ajouta la duchesse avec une legere impertinence
qui se greffait chez elle sur la simplicite.
Je repondis que j'etais absolument sur et qu'il fallait que M. de
Charlus eut mal entendu mon nom.
--Eh bien! je vous quitte, me dit comme a regret Mme de Guermantes. Il
faut que j'aille une seconde chez la princesse de Ligne. Vous n'y allez
pas? Non, vous n'aimez pas le monde? Vous avez bien raison, c'est
assommant. Si je n'etais pas obligee! Mais c'est ma cousine, ce ne
serait pas gentil. Je regrette egoistement, pour moi, parce que
j'aurais pu vous conduire, meme vous ramener. Alors je vous dis au
revoir et je me rejouis pour mercredi.
Que M. de Charlus eut rougi de moi devant M. d'Argencourt, passe encore.
Mais qu'a sa propre belle-soeur, et qui avait une si haute idee de lui,
il niat me connaitre, fait si naturel puisque je connaissais a la fois
sa tante et son neveu, c'est ce que je ne pouvais comprendre.
Je terminerai ceci en disant qu'
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