se de sa race qu'elle etait revenue. Bien
differente de moi qui n'avais rien souhaite de plus qu'un apaisement
physique, enfin obtenu, Albertine semblait trouver qu'il y eut eu de sa
part quelque grossierete a croire que ce plaisir materiel allat sans un
sentiment moral et terminat quelque chose. Elle, si pressee tout a
l'heure, maintenant sans doute et parce qu'elle trouvait que les baisers
impliquent l'amour et que l'amour l'emporte sur tout autre devoir,
disait, quand je lui rappelais son diner:
--Mais ca ne fait rien du tout, voyons, j'ai tout mon temps.
Elle semblait genee de se lever tout de suite apres ce qu'elle venait
de faire, genee par bienseance, comme Francoise, quand elle avait cru,
sans avoir soif, devoir accepter avec une gaiete decente le verre de vin
que Jupien lui offrait, n'aurait pas ose partir aussitot la derniere
gorgee bue, quelque devoir imperieux qui l'eut appelee. Albertine--et
c'etait peut-etre, avec une autre que l'on verra plus tard, une des
raisons qui m'avaient a mon insu fait la desirer--etait une des
incarnations de la petite paysanne francaise dont le modele est en
pierre a Saint-Andre-des-Champs. De Francoise, qui devait pourtant
bientot devenir sa mortelle ennemie, je reconnus en elle la courtoisie
envers l'hote et l'etranger, la decence, le respect de la couche.
Francoise, qui, apres la mort de ma tante, ne croyait pouvoir parler que
sur un ton apitoye, dans les mois qui precederent le mariage de sa
fille, eut trouve choquant, quand celle-ci se promenait avec son fiance,
qu'elle ne le tint pas par le bras. Albertine, immobilisee aupres de
moi, me disait:
--Vous avez de jolis cheveux, vous avez de beaux yeux, vous etes gentil.
Comme, lui ayant fait remarquer qu'il etait tard, j'ajoutais: "Vous ne
me croyez pas?", elle me repondit, ce qui etait peut-etre vrai, mais
seulement depuis deux minutes et pour quelques heures:
--Je vous crois toujours.
Elle me parla de moi, de ma famille, de mon milieu social. Elle me dit:
"Oh! je sais que vos parents connaissent des gens tres bien. Vous etes
ami de Robert Forestier et de Suzanne Delage." A la premiere minute, ces
noms ne me dirent absolument rien. Mais tout d'un coup je me rappelai
que j'avais en effet joue aux Champs-Elysees avec Robert Forestier que
je n'avais jamais revu. Quant a Suzanne Delage, c'etait la petite niece
de Mme Blandais, et j'avais du une fois aller a une lecon de danse, et
meme tenir un petit role dans une co
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