as a me cacher ce que j'avais devine tout de suite: qu'elle
venait d'avoir une petite attaque.
CHAPITRE PREMIER
MALADIE DE MA GRAND'MERE. MALADIE DE BERGOTTE. LE DUC ET LE MEDECIN.
DECLIN DE MA GRAND'MERE. SA MORT.
Nous retraversames l'avenue Gabriel, au milieu de la foule des
promeneurs. Je fis asseoir ma grand'mere sur un banc et j'allai chercher
un fiacre. Elle, au coeur de qui je me placais toujours pour juger la
personne la plus insignifiante, elle m'etait maintenant fermee, elle
etait devenue une partie du monde exterieur, et plus qu'a de simples
passants, j'etais force de lui taire ce que je pensais de son etat, de
lui taire mon inquietude. Je n'aurais pu lui en parler avec plus de
confiance qu'a une etrangere. Elle venait de me restituer les pensees,
les chagrins que depuis mon enfance je lui avais confies pour toujours.
Elle n'etait pas morte encore. J'etais deja seul. Et meme ces allusions
qu'elle avait faites aux Guermantes, a Moliere, a nos conversations sur
le petit noyau, prenaient un air sans appui, sans cause, fantastique,
parce qu'elles sortaient du neant de ce meme etre qui, demain
peut-etre, n'existerait plus, pour lequel elles n'auraient plus aucun
sens, de ce neant--incapable de les concevoir--que ma grand'mere serait
bientot.
--Monsieur, je ne dis pas, mais vous n'avez pas pris de rendez-vous avec
moi, vous n'avez pas de numero. D'ailleurs, ce n'est pas mon jour de
consultation. Vous devez avoir votre medecin. Je ne peux pas me
substituer, a moins qu'il ne me fasse appeler en consultation. C'est une
question de deontologie....
Au moment ou je faisais signe a un fiacre, j'avais rencontre le fameux
professeur E..., presque ami de mon pere et de mon grand-pere, en tout
cas en relations avec eux, lequel demeurait avenue Gabriel, et, pris
d'une inspiration subite, je l'avais arrete au moment ou il rentrait,
pensant qu'il serait peut-etre d'un excellent conseil pour ma
grand'mere. Mais, presse, apres avoir pris ses lettres, il voulait
m'econduire, et je ne pus lui parler qu'en montant avec lui dans
l'ascenseur, dont il me pria de le laisser manoeuvrer les boutons,
c'etait chez lui une manie.
--Mais, Monsieur, je ne demande pas que vous receviez ma grand'mere,
vous comprendrez apres ce que je vais vous dire, qu'elle est peu en
etat, je vous demande au contraire de passer d'ici une demi-heure chez
nous, ou elle sera rentree.
--Passer chez vous? mais, Monsieur, vous n'y pensez pas. J
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