t, pour que ma grand'mere put facilement me
rejoindre et continuer avec moi. C'est ce qui arriva bientot. Je pensais
que ma grand'mere allait me dire: "Je t'ai fait bien attendre, j'espere
que tu ne manqueras tout de meme pas tes amis", mais elle ne prononca
pas une seule parole, si bien qu'un peu decu, je ne voulus pas lui
parler le premier; enfin levant les yeux vers elle, je vis que, tout en
marchant aupres de moi, elle tenait la tete tournee de l'autre cote. Je
craignais qu'elle n'eut encore mal au coeur. Je la regardai mieux et
fus frappe de sa demarche saccadee. Son chapeau etait de travers, son
manteau sale, elle avait l'aspect desordonne et mecontent, la figure
rouge et preoccupee d'une personne qui vient d'etre bousculee par une
voiture ou qu'on a retiree d'un fosse.
--J'ai eu peur que tu n'aies eu une nausee, grand'mere; te sens-tu
mieux? lui dis-je.
Sans doute pensa-t-elle qu'il lui etait impossible, sans m'inquieter, de
ne pas me repondre.
--J'ai entendu toute la conversation entre la "marquise" et le garde, me
dit-elle. C'etait on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin.
Dieu! qu'en termes galants ces choses-la etaient mises. Et elle ajouta
encore, avec application, ceci de sa marquise a elle, Mme de Sevigne:
"En les ecoutant je pensais qu'ils me preparaient les delices d'un
adieu."
Voila le propos qu'elle me tint et ou elle avait mis toute sa finesse,
son gout des citations, sa memoire des classiques, un peu plus meme
qu'elle n'eut fait d'habitude et comme pour montrer qu'elle gardait bien
tout cela en sa possession. Mais ces phrases, je les devinai plutot que
je ne les entendis, tant elle les prononca d'une voix ronchonnante et en
serrant les dents plus que ne pouvait l'expliquer la peur de vomir.
--Allons, lui dis-je assez legerement pour n'avoir pas l'air de prendre
trop au serieux son malaise, puisque tu as un peu mal au coeur, si tu
veux bien nous allons rentrer, je ne veux pas promener aux
Champs-Elysees une grand'mere qui a une indigestion.
--Je n'osais pas te le proposer a cause de tes amis, me repondit-elle.
Pauvre petit! Mais puisque tu le veux bien, c'est plus sage.
J'eus peur qu'elle ne remarquat la facon dont elle prononcait ces mots.
--Voyons, lui dis-je brusquement, ne te fatigue donc pas a parler,
puisque tu as mal au coeur; c'est absurde, attends au moins que nous
soyons rentres.
Elle me sourit tristement et me serra la main. Elle avait compris qu'il
n'y avait p
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