e boutique un berger qui a neuf cents moutons; je
l'ai retenu, et nous acheterons son troupeau." Son pere, Mir-Ibrahim,
le boucher, se rendit promptement a la boutique, et des qu'il vit
Kourroglou, il lui jeta ses bras autour du cou, et l'accueillit avec de
grands embrassements, l'appelant beg, et ami, et frere en meme
temps. Kourroglou pensa en son coeur: "Je t'entends, coquin, tu veux
m'attraper." Mir-Ibrahim dit: "Beg, votre nom a echappe de ma memoire;
tout ce que je sais, c'est que vous aviez coutume de m'honorer de votre
presence quand vous nous ameniez des moutons. Il y a longtemps que nous
ne nous sommes vus; mes yeux vous cherchaient et vous desiraient."
Kourroglou pensait dans son coeur: "Fripon! tu achetes le pain du
boulanger, et puis tu le lui revends ensuite[13]." Et alors il dit: "Mon
nom est Roushan." Il ne disait pas un mensonge, car tel etait vraiment
son nom. Le boucher sur cela commenca a se plaindre: "Comment! nous
aviez-vous oublie? et pourquoi etre reste si longtemps sans voir votre
ami et votre frere?" Kourroglou repondit: "Les moutons que j'avais
coutume d'amener ici venaient tous de la Perse; maintenant Kourroglou
demeure sur les frontieres, a Chamly-Bill. La crainte de ce voleur m'a
retenu; mais, grace a Dieu! Kourroglou etant mort, je te fournirai
desormais autant de moutons que tu peux desirer." Mir-Ibrahim, le
boucher, demanda: "Est-il donc vrai que Kourroglou soit mort?--Mort et
enterre! J'ai moi-meme assiste a ses funerailles." Le boucher dit: "Dieu
soit loue! car vous saurez que notre pacha, ayant entendu parler de
ce bandit, a defendu a mon Ayvaz de sortir de la ville, de peur que
Kourroglou ne l'enleve et ne le couvre d'infamie. Depuis sept ans, Ayvaz
n'est jamais sorti de la forteresse." Kourroglou disait en lui-meme:
"Voyez cette sale tete; il m'a enterre vivant, mais je l'aurai bientot
moi-meme mis au tombeau; de sorte que chacun se moquera de lui jusqu'a
la fin du monde."
[Footnote 13: expression proverbiale pour dire: tu mens, tu m'as
trompe.]
Ayvaz, voyant qu'il ne restait plus de viande dans la boutique, crut
d'abord qu'elle avait ete vendue; mais quand il regarda dans la bourse,
il n'y trouva que douze piastres, et dit: "Berger, puisse ta maison
s'ecrouler!" et alors il se mit a pleurer. Mir-Ibrahim lui demanda la
cause de ses larmes; et lui dit: "Pere, j'ai confie a Roushan douze
quartiers de viande, et il les a vendus une piastre la piece."
Kourroglou repondit: "J'avais e
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