se sentait si
honteux, qu'il osait a peine respirer. Le Turc baissa la tete comme
auparavant, et se remit a jouer au trictrac avec son compagnon.
Kourroglou vit que le Turc etait un homme plein de courage et de
noblesse. Fidele a son habitude de dire en face a l'homme brave qu'il
etait brave, et au poltron qu'il etait poltron, il accorda sa guitare,
et chanta au marchand l'air suivant:
_Improvisation._--"J'ai demande a ses esclaves et a ses serviteurs qui
il etait. Ils ont tous repondu: C'est le seigneur des seigneurs, un
marchand guerrier. Il possede plus d'or qu'on n'en peut trouver dans
Alep ou dans Damas. C'est le lion du desert. Son coursier est couvert de
la depouille du leopard. Il ne daigne pas jeter un regard sur un ennemi
ou sur un ami. J'ai lance mon cheval contre lui, j'ai leve ma massue
au-dessus de sa tete. Le marchand alors a pousse un cri, et s'est elance
de sa place."
Le Turc sourit, et regarda l'autre joueur d'une maniere significative
(car il etait evident que le chanteur mentait par habitude de se
vanter). Kourroglou dit dans son coeur: "Le maudit se raille de moi." Il
reprit ainsi:
_Improvisation_.--"O mon Dieu, tu l'as cree sans defaut. Il n'est le
serviteur que de toi seul; mais envers tout le reste du monde, il est
imperieux et superbe. Il a amasse des montagnes de marchandises, et il
s'est repose. Il a jete un regard a son compagnon, et il a souri. Il a
baisse la tete, et il a joue au trictrac."
Le Turc dit: "Guerrier Kourroglou, pour ta poesie, je te paierai un
tribut de cinq cents tumans." Kourroglou pensait qu'il n'aurait rien de
cet homme qui l'avait vaincu. Aussitot qu'il entendit parler de cinq
cents tumans, son cerveau recouvra la sante; il fut transporte de joie,
et improvisa ainsi:
_Improvisation_.--"Il a mis sur ses oreilles le bonnet d'un derviche,
sur ses epaules est un manteau d'hermine. Je lui ai chante un air. Le
marchand m'a donne cinq cents tumans pour recompense."
Le Turc ayant verse l'argent devant le chanteur, il dit: "Voici mon
tribu de cinq cents tumans. Si tu veux accepter mon invitation, Dieu
merci, nous ne manquons pas de vin ni de kabab. Il y a toutes sortes
d'aliments prepares. Si tu ne veux pas venir, et que tu preferes t'en
aller, tu es le maitre." Kourroglou dit: "J'aimerais mieux partir, si tu
daignais me le permettre."
Kourroglou, ayant mis l'argent dans sa poche, prit conge de son hote,
et retourna a Chamly-Bill. Quand les bandits virent l'argent
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