Le nom d'Ayvaz est attache
a cette chanson. Un signe, en forme de croix, a deja ete brule sur ma
poitrine. Je sais, entendez bien, ce qui va tomber sur ma tete.
"Pere, Ayvaz ne sera pas ton fils plus longtemps!"
Kourroglou, voyant qu'Ayvaz avait devine ce qu'il etait, se pencha
doucement vers lui, et lui dit a l'oreille:
"Mechant enfant! pourquoi ne veux-tu pas venir avec moi voir le
troupeau? Je te montrerai quatre belles cages attachees au dos d'un
jeune ane; chacune d'elles contient quantite d'alouettes, de cailles,
de perdrix aux jambes rouges, de rossignols, et une foule d'oiseaux
chanteurs. Aussitot que nous serons arrives, je t'en ferai present,
ainsi que des quatre cages. Tu les pendras dans ta boutique, ou ils
chanteront et gazouilleront sans fin, et tandis que tu ecouteras leur
ramage, tu seras rejoui."
Ayvaz alors pleura et dit: "Je ne puis m'en defendre, viens, pere,
allons.--Oui, allons, mon enfant, notre ami Roushan-Beg empechera bien
que tu sois arrete aux portes de la ville. Nous allons aussi prendre un
esclave avec nous."
Ainsi, apres avoir pris l'argent pour payer les moutons, Ayvaz,
Kourroglou, Mir-Ibrahim et l'esclave se mirent en route. A un fersakh de
distance d'Orfah, ils arriverent a la montagne dont il a ete parle, sur
laquelle le berger faisait paitre ses moutons. Quand le boucher apercut
de loin le troupeau, il fut rejoui dans son coeur et dit: "Est-ce la ton
troupeau, Roushan-Beg?--Ce l'est.--Commencons donc notre marche. Nous
conviendrons d'abord de prix et nous examinerons ensuite combien il y
a de moutons gras et en bon etat; combien de maigres et
d'estropies.--Qu'il en soit ainsi! Fais comme il te plaira.--Combien
as-tu de moutons?--Je t'ai dit ce matin que j'en avais neuf
cents!--Combien de maigres et combien de gras?--Je n'ai jamais de betail
maigre, male ou femelle; tous mes moutons sont gras et en bon etat.
Aucun d'eux n'a plus de deux ans, et les brebis n'ont pas encore
agnele.--Bien, as-tu achete ces moutons ou les as-tu eleves?--Un menteur
est pire qu'un chien, et je te dirai la verite: j'en ai achete la
moitie, et j'ai eleve moi-meme l'autre moitie.--Combien veux-tu les
vendre la piece?--Je veux les vendre en bloc.--A quel prix?--Maudit soit
celui qui ment. Je te dirai la simple verite. Je les ai achetes cinq
piastres chacun, et tu les auras pour six. Il faut bien que j'aie au
moins une piastre de profit dans le marche. Je ne desire pas en avoir
davantage avec toi."
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