la tete
feconde de la belle rapsode, avant d'avoir vu au moins ce qui etait
advenu de la tete chauve d'Hamza. Maintenant Kourroglou arrive a un
episode de sa vie qui se distingue de tous les autres par sa brievete
et sa couleur sinistre. Il y a un crime dans la vie de ce heros, et a
partir de ce moment on voit le signe de la colere divine se lever a son
horizon et envahir peu a peu la splendeur de son ciel. Le rapsode n'en
fait pas la remarque, il ne dogmatise pas; on voit meme qu'il raconte
sans figure et sans complaisantes metaphores, comme a regret et penetre
d'effroi, le crime de son heros. Mais l'admirable instinct philosophique
qui est dans la conscience des poetes populaires se revele dans
l'enchainement des aventures de Kourroglou. Qu'on ne croie donc pas que
ce sont des episodes pris au hasard dans le roman capricieux de sa vie
errante. Non; la memoire populaire est un artiste ingenieux, un poete
qui ne manque pas de profondeur. Au premier coup d'oeil, nous avions
pense que la vie de Kourroglou n'etait qu'un conte heroique et comique;
mais arrives a la septieme rencontre, et voyant ensuite se derouler
la suite de ses derniers succes, puis de ses imprudences, puis de ses
revers et de ses profondes douleurs, enfin de ses infortunes jusqu'a sa
mort deplorable, nous avons reconnu que c'etait la un veritable poeme,
avec son sens philosophique, sa moralite et sa personnification de
l'etre humain (d'une race peut-etre en particulier), dans un individu
poetique. Nul doute que Kourroglou a existe, et que le fond de son
histoire est authentique: c'est le Napoleon de la race nomade; et s'il
est deja devenu fabuleux, c'est que, pour les esprits illettres, deux
siecles equivalent peut-etre a deux mille ans. Mais la tradition fait
l'histoire d'apres les memes regles morales qu'observent les hommes de
genie pour l'ecrire. Elle comprend qu'un heros n'est qu'une incarnation
plus riche de l'esprit qui anime ses contemporains. Elle ne lui donnera
donc ni vertus, ni vices, ni facultes qui ne soient en rapport avec ceux
de sa race et de son temps. Kourroglou traversant les precipices et les
fleuves a la course de son cheval, massacrant a lui seul une armee,
mangeant et buvant comme les heros de Rabelais, est au fond de ce milieu
fantastique un homme tres-reel, un caractere tres-sainement developpe.
C'est ainsi qu'a procede Hoffmann dans ses bons jours; c'est pour
cela que, parmi de nombreuses aberrations, il a cree plusieurs
chefs-
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