us! sus! mon Kyrat, porte-moi a Chamly-Bill! Ton corps est aussi rond,
aussi mince et aussi uni qu'un roseau. Montre ce que tu peux faire, mon
cheval; que l'ennemi te voie et devienne aveugle d'envie[22]. N'es-tu
pas de la race de kholan? n'es-tu pas l'arriere-petit-fils de
Duldul[23]? O Kyrat! porte-moi a Chamly-Bill, vers mes braves. Je ferai
tailler pour toi des housses de satin, et je les ferai broder expres
pour toi. Nous nous rejouirons, et le vin rouge coulera eu ruisseaux.
O mon Kyrat! toi que j'ai choisi entre cinq cents chevaux, sus! sus!
porte-moi a Chamly-Bill."
[Footnote 22: Litteralement: "Tu arracheras les yeux du scelerat."]
[Footnote 23: Duldul: nom du celebre cheval arabe qui appartenait a Ali,
gendre de prophete.]
Ayant fini ce chant, Kourroglou commenca a promener Kyrat. Reyhan
l'Arabe le vit d'en bas, et, devinant que Kourroglou preparait son
cheval a franchir le ravin, il dit a ses hommes: "Voulez-vous parier que
Kourroglou sera assez hardi pour sauter ce precipice? Son grand courage
me plait. Je vous prends a temoin que s'il franchit le ravin, je me
garderai de persecuter un homme si brave. Je lui pardonnerai et lui
laisserai emmener Ayvaz; s'il succombe, je rassemblerai leurs membres
disperses et les ensevelirai avec honneur." Il dit ces mots, et il
regarda la montagne tout le temps a travers un telescope. Kourroglou
continuait a promener Kyrat jusqu'a ce que l'ecume parut dans ses
naseaux. Enfin, il choisit une place ou il avait assez d'espace pour
sauter; et alors, fouettant son cheval, il le poussa en avant.
Le brave Kyrat s'elanca et s'arreta sur le bord meme du precipice; ses
quatre jambes etaient rassemblees entre elles _comme les feuilles d'un
bouton de rose_. Il hesita un instant, prit de l'elan, et sauta de
l'autre cote du ravin; il retomba meme deux metres plus loin qu'il
n'etait necessaire.
Reyhan l'Arabe s'ecria: "Bravo! benis soient la mere qui a sevre et le
pere qui a eleve un tel homme."
Pour Kourroglou, son bonnet ne remua pas de dessus sa tete; il
ne regarda pas meme en arriere, comme s'il ne fut rien arrive
d'extraordinaire, et il s'en alla tranquillement avec Ayvaz.
Reyhan l'Arabe dit a ses hommes: "Mes amis, mes enfants! un loup a qui
l'on n'ote pas sa premiere proie s'enhardit et revient plus rapace que
jamais. Kourroglou a enleve aujourd'hui le fils de mon beau-frere;
demain, il viendra saisir ma femme jusque dans mon lit. Il faut lui
montrer que notre orteil
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