entre." Ayvaz etait
fache et se disait: "Il est ivre, il va bientot tomber endormi; alors,
comment acheterons-nous ses moutons?" Kourroglou prit un siege, et,
regardant Ayvaz que le vin incommodait un peu, il prit une guitare et
commencant a jouer, dit: "Ayvaz, que je sois ton esclave! laisse-moi
tirer quelques sons de la guitare!--Quoi! sais-tu donc en jouer, oncle?"
Kourroglou dit: "Quand j'etais un enfant, un simple petit berger, mon
pere fit une petite guitare pour moi, avec un morceau de cedre; il y mit
des cordes faites avec les crins d'une queue de cheval, et j'ai
appris dessus a jouer un peu." Ayvaz lui donna la guitare: Kourroglou
l'accorda, et elle resonnait sous ses doigts comme un rossignol.
L'enfant emerveille ecoutait avec ravissement. A la fin, reprenant
son sang-froid, il demanda: "Oncle, peux-tu chanter aussi bien que
tu joues?--Je vais l'essayer et chanter, si tu me le permets. Que
pouvons-nous faire de mieux?... Nous sommes tous deux gris; si je
ne chante pas ici, ou chanterais-je donc?" Cela dit, il chanta
l'improvisation suivante:
_Improvisation_.--"Remplissons nos verres, et buvons, buvons, fils du
boucher! Mais il ne faut pas repeter mes paroles. La rosee est descendue
sur les joues de la rose[16]. Tu as vide la coupe, tu es gris, meme
ivre-mort, tu es ivre, ivre-mort, toi, aujourd'hui fils du boucher, mais
qui seras bientot le mien."
[Footnote 16: La sueur a couvert ta figure.]
Quand Ayvaz eut entendu ces vers, il demanda:
"Oncle, as-tu jamais vu Kourroglou!"
Kourroglou fit l'improvisation suivante:
_Improvisation_.--Les roses du jardin sont en pleine floraison; les
rossignols amoureux chantent, les vallees de Chamly-Bill sont obscurcies
par de nombreuses tentes[17]. C'est la qu'est ma demeure. O fils du
boucher!..."
[Footnote 17: Dans le texte _churdug_, sorte de tente avec quatre
piquets et une couverture d'etoffe de laine noire.]
Ici Kourroglou s'arreta et se dit: "Si je terminais cette chanson par le
nom de Kourroglou, le pauvre enfant mourrait de frayeur, restons encore
berger un peu de temps." Il chanta l'improvisation suivante:
_Improvisation_.--"Dois-je le confesser? Non, je suis berger. La vie
des etres crees doit avoir une fin. Quand je tire de l'arc, ma fleche
traverse le roc, o fils du boucher!"
Comme il disait ces mots, le pere d'Ayvaz, Mir-Ibrahim, entra dans la
chambre avec l'argent destine a l'achat des moutons et dit: "Leve-toi,
Roushan-Beg, et allons ou es
|