t le troupeau, afin de terminer notre
marche."
Kourroglou, voyant qu'Ayvaz ne bougeait pas, dit: "Mir-Ibrahim, l'enfant
ne viendra-t-il pas avec nous?--Il faut qu'il reste a la maison;
le pacha lui a defendu de quitter la ville ainsi que je te l'ai
dit.--N'as-tu pas honte d'avoir peur du cadavre de Kourroglou? Vous
croyez le premier diseur de bonne aventure, pourquoi ne me croiriez-vous
pas? Je te repete que Kourroglou est mort depuis plus d'un mois.
Maintenant, sois franc! ce n'est pas Kourroglou que tu crains; mais tu
as peur que je te force a etre reconnaissant, quand j'aurai fait don a
Ayvaz de trente moutons."
Lorsque le boucher eut entendu qu'il s'agissait encore d'un present
de trente moutons, il perdit la tete. Il donna a Ayvaz un vigoureux
soufflet sur la face, et s'ecria: "Leve-toi, niais, et fais un grand
salut a Roushan-Beg! c'est un homme liberal, c'est un grand homme, et sa
parole est une parole." Ayvaz, qui etait excite par le vin qu'il avait
bu, non moins que tout ce qu'il venait de voir et d'entendre, sentit un
frisson de terreur dans tout son corps, et il pensa dans son coeur: "Cet
homme doit etre Kourroglou lui-meme ou quelqu'un de sa bande." Il prit
sa guitare et dit: "Pere, laisse-moi chanter une chanson et je vous
accompagnerai ensuite."
_Improvisation_.--"Pere, ne confonds pas mon entendement! un homme comme
lui ne peut etre un berger. Tu n'as qu'un fils, songes-y! Ne l'emmene
pas. Un berger ne doit pas avoir cet air-la. J'ai compare ses paroles
avec ses actions; c'est un fou etrange. Son amitie et sa haine ne durent
qu'un moment. Ce doit etre Kourroglou lui-meme ou Daly-Hassen: _cet
homme ne ressemble certainement pas a ton berger_."
Kourroglou, entendant cela, sortit et pensa: "Cet enfant est penetrant;
c'est le fils qu'il me fallait." Ayvaz continuait ainsi:
_Improvisation_--Pere, ses marchands trafiquent dans les quatre parties
du monde. Mille serviteurs des deux sexes vivent a ses depens. Il n'aime
aucun compte, mais distribue liberalement ses dons par cinq et par
quinze. Crois-moi, un berger n'a pas cet air-la."
Mir-Ibrahim dit: "Que faut-il faire, mon fils? Comment aurons-nous les
neuf cents moutons?" Ayvaz continua et chanta:
_Improvisation_.--"Renvoyez-le; envoyez-le ou nul oeil ne pourra le
voir. Que pas un hote, pas un voisin ne s'apercoive de sa venue. Qu'on
ne le voie pas meme dans le sommeil! un homme de cette apparence ne peut
etre, croyez-moi, ne peut etre un berger.
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