, ils le
feliciterent de sa victoire. Kourroglou dit: "Ne m'insultez pas, chiens
que vous etes! Ce ne sont pas des tumans, mais bien autant de gouttes de
mon propre sang. Cet homme m'a vaincu; mais il n'a pas voulu me tuer,
et, de plus, il m'a paye mon sang avec cet argent."
Il ordonna a ses gardes de veiller le moment du depart du marchand et de
le lui annoncer.
A partir de ce moment, Kourroglou sent decroitre la conscience de sa
force; il n'ose plus sortir seul. Quand Ayvaz vient lui dire: "Ne
veux-tu pas faire une sortie, seigneur? Nous sommes a la fin de
l'automne. Si la neige tombait cette nuit, les routes seraient
interceptees, et nous ne trouverions plus de voyageurs a ranconner.
Cependant ta caisse et ta paneterie sont vides. J'apercois une caravane:
allons!" Kourroglou repond: "Retire-toi! le premier marchand etait un
homme sage, et il n'a pas voulu me tuer; mais un autre peut etre fou."
Kourroglou ne voulait pas confesser devant ses gens qu'il etait
continuellement tourmente par l'idee de la superiorite du Turc qui
l'avait vaincu. Il resolut de voir encore une fois son heureux
adversaire. Apres bien des perquisitions, il sut le jour ou le marchand
devait quitter Erzeroum. Il partit avant lui, et se posta dans une passe
de montagnes, de l'autre cote du la ville ou passait la route. Le Turc
etait seul, a cheval, ayant laisse sa caravane derriere lui, a quelque
distance. Kourroglou se sentit transporte de fureur; il poussa son
cheval sur le marchand, le jeta a bas de sa selle, et coupa la tete de
_l'homme renverse_. Il sentit bientot sa rage se calmer, et, _fache de
ce qu'il avait fait_, il chanta ainsi:
_Improvisation_.--"Begs, ecoutez-moi! Sur le chemin d'Alep, je
rencontrai un marchand, je rencontrai un lion affame. Je soufflais comme
la brise du matin. Je me suis place en embuscade sur sa route, non loin
d'Erzeroum; j'ai coupe sa tete a Erzengan. J'ai rencontre un marchand."
L'ayant depouille de ses vetements, Kourroglou vit que ce n'etait pas un
Turc, mais un Armenien, et il chanta:
_Improvisation_.--"Sa mort m'a delivre de mille maux. Je l'ai acceptee
avec delices, comme un bouquet de roses. J'ai depouille le corps, et
j'ai vu que c'etait un Armenien. Oh! que les montagnes se couvrent
de brouillards, que des torrents ruissellent de leurs sommets[33]!
Kourroglou, que ton bras soit desseche! J'ai rencontre un marchand."
[Footnote 33: Pour laver le deshonneur d'avoir traitreusement attaque
l'hom
|