-Reste, dit Ayvaz. Tu vois ici douze quartiers de viande; s'il
vient quelques pratiques, tu leur vendras un okha deux piastres si elles
ne veulent pas attendre que je sois revenu pour fixer le prix moi-meme."
Kourroglou repliqua: "Va, et repose-toi sur moi; j'ai ete boucher
dix-sept ans, et je connais mon etat; je vendrai bien a ta place." Ayvaz
laissa la boutique a la garde de Kourroglou, et courut chercher son
pere. Bientot apres, un Turc, qui venait pour acheter de la viande, vit
Kourroglou, et pensa en lui-meme: "Comment acheter d'un pareil monstre!
Je suis vraiment effraye de lui." Ainsi ruminant, il allait de long en
large.
Kourroglou le vit et lui dit: "Tu vas et viens comme si tu etais malade;
de quoi as-tu besoin?" Le Turc prit une piastre dans sa poche, et
demanda un demi-okha de viande. Kourroglou lui dit de mettre l'argent
sur l'etal et d'entrer dans la boutique. Ayant choisi une tranche de la
meilleure viande: "Prends-la toute!" lui dit-il. Le Turc, pensant qu'il
y avait quelque tricherie la-dessous, ou bien qu'on voulait se moquer
de lui, repondit: "Tout ce que j'ai a recevoir, c'est un demi-okha de
mouton, et je n'en prendrai pas davantage." Kourroglou leva sa massue
sur lui, et s'ecria: "Es-tu sourd ou stupide? Je te dis de prendre
tout." Le Turc dit dans son ame: "Il faut toujours profiter de
l'occasion; je vais essayer de prendre tout. S'il ne me dit rien, il
aura evidemment perdu le sens; si c'est le contraire, je jetterai
la viande par terre, et je me sauverai." Il entra dans la boutique
lentement, et avec timidite prit la viande, la mit sur son epaule,
ayant, pendant tout ce temps les yeux fixes sur Kourroglou; ensuite
il quitta la boutique et commenca a courir, et, tout en fuyant, il
regardait souvent derriere lui; mais personne ne le suivait. Il avait
toujours quelque apprehension, et il courait aussi fort que la vitesse
de ses jambes le lui permettait. Il n'etait pas loin de sa maison quand
il rencontra quelques amis, qui lui demanderent la raison de cette hate.
"Oh! puisse votre maison ne tomber jamais en ruine! Un fou est assis
dans la boutique d'Ayvaz; pour une piastre, il m'a donne toute une
epaule de mouton; quel beau trafic! Il y a encore onze quartiers dans
la boutique; allez vite, et il vous les donnera surement." Pendant que
Kourroglou vendait ainsi toute la viande d'Ayvaz pour douze piastres, ce
dernier arrivait a la maison de son pere transporte de joie, et il dit:
"Il est venu a notr
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