suis innocent", repondit
l'accuse, croisant ses poings comme auparavant, avec cette difference
qu'il y avait deux doigts au lieu d'un projetes en avant. Ils
continuerent ainsi, l'accuse apres chaque menace du beglerberg, croisant
ses mains sur sa poitrine avec toujours plus de doigts leves. Enfin,
quand apres une nouvelle protestation, il eut mis ses mains sur sa
poitrine avec tous les doigts etendus, le beglerberg dit: "Allons,
laissez-le aller. Peut-etre est-il reellement innocent. Retourne a ta
maison, et fais que je n'entende pas de plaintes contre toi." Quand
je quittai la maison du beglerberg, je remarquai que mes domestiques
riaient et chuchotaient entre eux, et j'obtins d'eux l'explication
suivante: l'accuse avait fait d'abord entendre au beglerberg qu'il lui
donnerait un tuman, s'il voulait le renvoyer; ensuite il lui en avait
promis deux, trois et ainsi de suite; mais il n'obtint son pardon que
lorsqu'il eut promis de payer dix tumans. (_Note de M. Chodzsko._)]
Le pacha dit: "Nul doute que l'Aushik ne soit lui-meme un bon cavalier."
Il se tourna vers Kourroglou et dit: "Aushik, serais-tu dans le cas de
monter mon cheval?" Kourroglou se mit a pleurer et a se plaindre de ce
qu'on voulait, sans doute, lui donner quelque cheval fou qui le tuerait
et rendrait ses enfants orphelins. Le pacha dit: "N'aie pas peur. Tu
auras deux cents tumans de moi. Si le cheval te tuait, l'argent serait
remis a ta veuve et a tes orphelins, comme le prix de ton sang. Si tu
peux descendre vivant de dessus son dos, je te donnerai l'argent comme
recompense." Kourroglou dit: "Puisse le pacha nager dans le bonheur, et
puisse son regne etre long! Je suis content. Si je meurs, puisses-tu
vivre de longs jours, seigneur!" Le pacha donna ordre au vizir d'aller
chercher Kyrat.
Le ruse Hamza-Beg pourvut a tout: voyant que Kourroglou n'avait point
d'armes avec lui, il reussit, en sellant Kyrat, a cacher une massue sous
les housses et suspendit un sabre au pommeau de la selle. Il le brida
ensuite et lui noua la queue. Six hommes suffisaient a peine pour
conduire Kyrat hors de l'ecurie, tant il etait devenu gras et sauvage,
apres six mois de repos. L'ecume jaillissait de ses naseaux. Kourroglou
vit tout et chanta:
_Improvisation_.--"O toi que j'ai eu pour la premiere fois entre mes
mains dans le Turkestan, viens, Kyrat, viens, bonheur de ma vie! Tu es
tombe entre les mains d'un vilain. Viens, Kyrat, toi la plus chere de
toutes les choses de m
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