noirs, l'entassement de la foule, les shakos et les
sacs des militaires ahuris. Cette fois encore, le salut de Freydet a
deux ou trois "futurs collegues" fut repousse de froids et meprisants
sourires comme on evoquent ces reves ou vos meilleurs amis ne vous
reconnaissent plus. Mais il n'eut pas le temps de s'en attrister, pris
par la bousculade a deux mouvements qui agitait l'eglise vers le haut et
vers la sortie.
"Eh bien! monsieur le vicomte, il va falloir nous remuer,
maintenant..." Cet avis chuchote de l'aimable Picheral au milieu de la
rumeur, de l'enchevetrement des chaises, remit le sang en route dans les
veines du candidat; mais comme il passait devant le catafalque, Danjou
lui tendant le goupillon murmura sans le regarder: "Surtout, ne bougez
plus... laissez faire..." Il en eut les jambes fracassees.
Remuez-vous!... Ne bougez plus!... Quel avis suivre et croire le
meilleur? Son maitre Astier le lui dirait sans doute, et il essaya de
le rejoindre dehors. Ce n'etait pas chose commode avec l'encombrement du
parvis pendant que se classait le cortege et qu'on hissait le cercueil,
ecrase d'innombrables couronnes, rien d'anime comme cette sortie
d'enterrement dans la lumiere d'un beau jour; des saluts, des propos
mondains tout a fait etrangers a la ceremonie funebre, et sur les
visages l'allegement, la revanche a prendre de cette grande heure
d'immobilite traversee de chants lugubres. Les projets, les rendez-vous
echanges marquaient la vie impatiente et recommencant vite apres ce
court arret, rejetaient le pauvre Loisillon bien loin dans ce passe dont
il faisait partie desormais.
"Aux Francais, ce soir... n'oubliez pas... le dernier mardi..."
minaudait Mme Ancelin; et Paul au gros Lavaux:
"Allez-vous jusqu'au bout?
--Non. Je reconduis Mme Eviza.
--Alors a six heures chez Keyser; ca semblera bon apres les discours."
Les voitures de deuil s'approchaient a la file, pendant que des coupes
partaient au grand trot. Du monde se penchait a toutes les fenetres de
la place, et, vers le boulevard Saint-Germain, des gens debout sur les
tramways arretes alignaient des tetes au-dessus des tetes, coupaient le
ciel bleu de files sombres. Freydet, ebloui de soleil, son chapeau en
abat-jour, regardait cette foule a perte de vue, se sentait tres fier,
reportant a l'Academie cette gloire posthume qu'on ne pouvait attribuer
vraiment a l'auteur du _Voyage au Val d'Andorre_, et en meme temps il
avait le chagrin de constater que
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