reprenait a longs cris la "marche pour la mort d'un heros." Et
devant ces grandioses honneurs, ces funerailles nationales, cette
orgueilleuse revolte de l'homme humilie, vaincu par la mort mais
haussant et parant sa defaite, il faisait beau songer que tout cela
etait pour Loisillon, secretaire perpetuel de l'Academie francaise,
c'est-a-dire rien, le dessous de rien.
IX
Tous les jours, entre quatre et six, plus tot ou plus tard selon la
saison, Paul Astier venait prendre sa douche a "l'hydrotherapie Keyser"
en haut du faubourg Saint-Honore. Vingt minutes de fleuret, de boxe ou
de baton, puis le jet froid, le bain de piscine, la petite station, en
sortant, chez la fleuriste de la rue du Cirque pour se faire coudre un
oeillet a la boutonniere; et la reaction jusqu'a l'Arc-de-l'Etoile,
Stenne et le phaeton suivant au ras du trottoir. Ensuite un tour aux
acacias, ou Paul montrait un teint clair, une peau de femme a "lever"
toutes les femmes et qu'il devait a ses habitudes d'hygiene chic. Cette
seance chez Keyser lui epargnait en outre la lecture des journaux, par
les potins de cabine a cabine, ou sur les divans de la salle d'armes, en
veste de tir, en peignoir de flanelle, meme a la porte du docteur, quand
on attendait son tour de douche. Des cercles, des salons, de la Chambre,
de la Bourse ou du Palais, les nouvelles de la journee s'annoncaient la
librement, a voix haute, dans le froissement des epees et des cannes,
les appels au garcon, les grandes claques en battoir des mains sur la
chair nue, le cliquetis des fauteuils a roulettes pour rhumatisants, les
lourds plongeons qui s'ebrouaient dans la piscine aux voutes sonores,
et, dominant tous les bruits d'eau brisee, jaillie, la voix du bon
docteur Keyser debout sur sa tribune et ce mot revenant toujours comme
un refrain: "Tournez-vous."
Ce jour-la, Paul Astier se "tournait" avec delices sous la pluie
bienfaisante, y laissait la migraine et la poussiere de sa corvee, et
les funebres ronrons des regrets academiques en style Astier-Rehu:
"L'airain lui mesurait ses heures... la main glacee de Loisillon...
epuise la coupe du bonheur..." O papa! o cher maitre! Il en fallait de
l'eau, en pluie, en fouet, en cascade, pour nettoyer ce noir fatras.
Encore ruisselant, il croisa un grand corps qui remontait de la piscine
et lui faisait un bonjour grelottant de la tete, courbe en deux sous un
large bonnet en caoutchouc couvrant le crane et une partie de la figure.
Cette
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