s
abandonnez a votre sensibilite, vous etes si belle, si adorable! j'ai eu
de si beaux jours avec vous! sont-ils donc perdus pour jamais? Non;
je ne saurais y renoncer; que ce soit force ou faiblesse, lachete ou
courage, je retournerai a toi! Je te presserai encore dans mes bras, je
te forcerai encore a croire en moi et a m'aimer, dusse-je n'avoir qu'un
jour de ce bonheur, et rester avili a mes propres yeux pour toute ma
vie! Je sais que je serai encore malheureux avec toi; je sais qu'apres
m'avoir rendu fou, tu me chasseras avec un abominable sang-froid. Tu ne
comprendras pas ou tu ne voudras pas comprendre que, pour retourner a
tes pieds, avec l'ame toute saignante encore de doute et de soupcons, il
faut que je t'aime d'une passion effrenee. Tu me diras que je ne
sais pas ce que c'est qu'aimer; tu croiras etre bien sublime et bien
genereuse envers moi, parce que tu me pardonneras d'avoir soupconne ce
que tous les hommes auraient suppose a ma place. Tu es une ame d'airain;
tu brises tout ce qui t'approche, et ne consens a plier devant aucune
des realites de la vie. Comment veux-tu que je te suive toujours
aveuglement dans ce monde imaginaire ou je n'avais jamais mis le pied
avant de te connaitre? Ah! sans doute, si tu es ce tu parais a mon
enthousiasme, tu es bien grande, et je devrais passer ma vie enchaine a
tes pieds; si tu es ce que ma raison croit deviner parfois, cache-moi
bien la verite, trompe-moi habilement, car malheur a toi si tu te
demasques! Adieu; recois-moi comme tu voudras, dans trois jours je serai
a tes genoux.
[Illustration: Il fume cinq heures sur six.]
XXVIII.
DE FERNANDE A CLEMENCE.
Tu m'humilies, tu me brises; si c'est la verite que tu m'enseignes, elle
est bien apre, ma pauvre Clemence. Tu vois cependant que je l'accepte,
toute cruelle qu'elle est, et que je reviens toujours a toi, sauf a etre
plus malheureuse qu'auparavant, quand tu m'as repondu. J'ai donc tort?
Mon Dieu, je croyais qu'avec un malheur comme le mien on ne pouvait pas
etre coupable. Les mechants sont ceux qui rient des peines d'autrui; moi
je pleure celles de Jacques encore plus que les miennes; je sais bien
que je l'afflige, mais ai-je la force de cacher mon chagrin? Peut-on
tarir ses larmes, peut-on s'imposer la loi d'etre insensible a ce qui
dechire le coeur?
Si quelqu'un est jamais arrive a cette vertu, il a du bien souffrir
avant de l'atteindre; son coeur a du saigner cruellement! Je suis trop
jeune pour savo
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