deja, devait attendre.
Elles trouverent l'artiste dans son atelier, etudiant sur la toile la
pose de sa Reverie. Il voulait reproduire exactement ce qu'il avait
vu au parc Monceau, en se promenant avec Annette: une fille pauvre,
revant, un livre ouvert sur les genoux. Il avait beaucoup hesite
s'il la ferait laide ou jolie? Laide, elle aurait plus de caractere,
eveillerait plus de pensee, plus d'emotion, contiendrait plus de
philosophie. Jolie, elle seduirait davantage, repandrait plus de
charme, plairait mieux.
Le desir de faire une etude d'apres sa petite amie le decida. La
Reveuse serait jolie, et pourrait, par suite, realiser son reve
poetique, un jour ou l'autre, tandis que laide demeurerait condamnee
au reve sans fin et sans espoir.
Des que les deux femmes furent entrees, Olivier dit en se frottant les
mains:
--Eh bien, mademoiselle Nane, nous allons donc travailler ensemble.
La comtesse semblait soucieuse. Elle s'assit dans un fauteuil et
regarda Olivier placant dans le jour voulu une chaise de jardin en
jonc de fer. Il ouvrit ensuite sa bibliotheque pour chercher un livre,
puis, apres une hesitation:
--Qu'est-ce qu'elle lit, votre fille?
--Mon Dieu, ce que vous voudrez. Donnez-lui un volume de Victor Hugo.
--_La Legende des siecles?_
--Je veux bien.
Il reprit alors:
--Petite, assieds-toi la et prends ce recueil de vers. Cherche la
page... la page 336, ou tu trouveras une piece intitulee: _les
Pauvres Gens_. Absorbe-la comme on boirait le meilleur des vins, tout
doucement, mot a mot, et laisse-toi griser, laisse-toi attendrir.
Ecoute ce que te dira ton coeur. Puis, ferme le bouquin, leve les
yeux, pense et reve... Moi, je vais preparer mes instruments de
travail.
Il s'en alla dans un coin triturer sa palette; mais, tout en vidant
sur la fine planchette les tubes de plomb d'ou sortaient, en se
tordant, de minces serpents de couleur, il se retournait de temps en
temps pour regarder la jeune fille absorbee dans sa lecture.
Son coeur se serrait, ses doigts tremblaient, il ne savait plus ce
qu'il faisait et brouillait les tons en melant les petits tas de pate,
tant il retrouvait soudain devant cette apparition, devant cette
resurrection, dans ce meme endroit, apres douze ans, une irresistible
poussee d'emotion.
Maintenant elle avait fini de lire et regardait devant elle. S'etant
approche, il apercut en ses yeux deux gouttes claires qui, se
detachant, coulaient sur les joues. Alors il
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