n cela la justice et
l'intelligence des gens du monde, de ces amateurs ignorants et
pretentieux pour qui travaillent jusqu'a la mort les maitres de l'art
humain. Il les regardait applaudir, crier, s'extasier; et cette
hostilite ancienne qui avait toujours fermente au fond de son coeur
orgueilleux et fier de parvenu s'exasperait, devenait une rage
furieuse contre ces imbeciles tout puissants de par le seul droit de
la naissance et de l'argent.
Jusqu'a la fin de la representation, il demeura silencieux, devore par
ses idees, puis, quand l'ouragan de l'enthousiasme final fut apaise,
il offrit son bras a la duchesse pendant que le marquis prenait celui
d'Annette. Ils redescendirent le grand escalier au milieu d'un flot
de femmes et d'hommes, dans une sorte de cascade magnifique et lente
d'epaules nues, de robes somptueuses et d'habits noirs. Puis la
duchesse, la jeune fille, son pere et le marquis monterent dans le
meme landau, et Olivier Bertin resta seul avec Musadieu sur la place
de l'Opera.
Tout a coup il eut au coeur une sorte d'affection pour cet homme ou
plutot cette attraction naturelle qu'on eprouve pour un compatriote
rencontre dans un pays lointain, car il se sentait maintenant perdu
dans cette cohue etrangere, indifferente, tandis qu'avec Musadieu il
pouvait encore parler d'elle.
Il lui prit donc le bras.
--Vous ne rentrez pas tout de suite, dit-il. Le temps est beau,
faisons un tour.
--Volontiers.
Ils s'en allerent vers la Madeleine, au milieu de la foule noctambule,
dans cette agitation courte et violente de minuit qui secoue les
boulevards a la sortie des theatres.
Musadieu avait dans la tete mille choses, tous ses sujets de
conversation du moment que Bertin nommait son "menu du jour", et il
fit couler sa faconde sur les deux ou trois motifs qui l'interessaient
le plus. Le peintre le laissait aller sans l'ecouter, en le tenant
par le bras, sur de l'amener tout a l'heure a parler d'elle, et il
marchait sans rien voir autour de lui, emprisonne dans son amour. Il
marchait, epuise par cette crise jalouse qui l'avait meurtri comme une
chute, accable par la certitude qu'il n'avait plus rien a faire au
monde.
Il souffrirait ainsi, de plus en plus, sans rien attendre. Il
traverserait des jours vides, l'un apres l'autre, en la regardant de
loin vivre, etre heureuse, etre aimee, aimer aussi sans doute. Un
amant! Elle aurait un amant peut-etre, comme sa mere en avait eu un.
Il sentait en lui des sou
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