sa pensee fixe devenue haineuse, il poursuivait
jusque dans sa loge ou il le voyait remettre du blanc sur ses joues,
l'odieux chanteur qui surexcitait ainsi cette enfant.
Puis, la toile se leva sur l'acte du "Jardin".
Ce fut tout de suite une sorte de fievre d'amour qui se repandit dans
la salle, car jamais cette musique, qui semble n'etre qu'un souffle de
baisers, n'avait rencontre deux pareils interpretes. Ce n'etaient plus
deux acteurs illustres, Montrose et la Helsson, c'etaient deux etres
du monde ideal, a peine deux etres, mais deux voix: la voix eternelle
de l'homme qui aime, la voix eternelle de la femme qui cede; et elles
soupiraient ensemble toute la poesie de la tendresse humaine.
Quand Faust chanta:
Laisse-moi, laisse-moi contempler ton visage,
il y eut dans les notes envolees de sa bouche un tel accent
d'adoration, de transport et de supplication que, vraiment, le desir
d'aimer souleva un instant tous les coeurs.
Olivier se rappela qu'il l'avait murmuree lui-meme, cette phrase, dans
le parc de Roncieres, sous les fenetres du chateau. Jusqu'alors, il
l'avait jugee un peu banale, et maintenant elle lui venait a la bouche
comme un dernier cri de passion, une derniere priere, le dernier
espoir et la derniere faveur qu'il put attendre en cette vie.
Puis il n'ecouta plus rien, il n'entendit plus rien. Une crise de
jalousie suraigue le dechira, car il venait de voir Annette porter son
mouchoir a ses yeux.
Elle pleurait! Donc son coeur s'eveillait, s'animait, s'agitait, son
petit coeur de femme qui ne savait rien encore. La, tout pres de lui,
sans qu'elle songeat a lui, elle avait la revelation de la facon dont
l'amour peut bouleverser l'etre humain, et cette revelation, cette
initiation lui etaient venues de ce miserable cabotin chantant.
Ah! il n'en voulait plus guere au marquis de Farandal, a ce sot qui ne
voyait rien, qui ne savait pas, qui ne comprenait pas! Mais comme il
execrait l'homme au maillot collant qui illuminait cette ame de jeune
fille!
Il avait envie de se jeter sur elle comme on se jette sur quelqu'un
que va ecraser un cheval emporte, de la saisir par le bras,
de l'emmener, de l'entrainer, de lui dire: "Allons-nous-en!
allons-nous-en, je vous en supplie!"
Comme elle ecoutait, comme elle palpitait! et comme il souffrait,
lui! Il avait deja souffert ainsi, mais moins cruellement! Il se le
rappela, car toutes les douleurs jalouses renaissent ainsi que des
blessures r
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