r. Mais associant, comme fait
tout le monde, les attributs de la Divinite avec la nature de la
matiere creee a portee de son oeil, elle personnifiait a peu pres son
Eternel selon ce qu'elle savait de son oeuvre, sans avoir pour cela
d'idees bien nettes sur ce que pouvait etre, en realite, ce mysterieux
Fabricant.
Elle y croyait fermement, l'adorait theoriquement, et le redoutait
tres vaguement, car elle ignorait en toute conscience ses intentions
et ses volontes, n'ayant qu'une confiance tres limitee dans
les pretres qu'elle considerait tous comme des fils de paysans
refractaires au service des armes. Son pere, bourgeois parisien, ne
lui ayant impose aucun principe de devotion, elle avait pratique avec
nonchalance jusqu'a son mariage. Alors, sa situation nouvelle reglant
plus strictement ses obligations apparentes envers l'Eglise, elle
s'etait conformee avec ponctualite a cette legere servitude.
Elle etait dame patronnesse de creches nombreuses et tres en vue, ne
manquait jamais la messe d'une heure, le dimanche, faisait l'aumone
pour elle, directement, et, pour le monde, par l'intermediaire d'un
abbe, vicaire de sa paroisse.
Elle avait prie souvent par devoir, comme le soldat monte la garde a
la porte du general. Quelquefois elle avait prie parce que son coeur
etait triste, quand elle redoutait surtout les abandons d'Olivier.
Sans confier au ciel, alors, la cause de sa supplication, traitant
Dieu avec la meme hypocrisie naive qu'un mari, elle lui demandait de
la secourir. A la mort de son pere, autrefois, puis tout recemment a
la mort de sa mere, elle avait eu des crises violentes de ferveur, des
implorations passionnees, des elans vers Celui qui veille sur nous et
qui console.
Et voila qu'aujourd'hui, dans cette eglise ou elle venait d'entrer par
hasard, elle se sentait tout a coup un besoin profond de prier, de
prier non pour quelqu'un ni pour quelque chose, mais pour elle, pour
elle seule, ainsi que deja, l'autre jour, elle avait fait sur la tombe
de sa mere. Il lui fallait de l'aide de quelque part, et elle appelait
Dieu maintenant comme elle avait appele un medecin, le matin meme.
Elle resta longtemps sur ses genoux, dans le silence de l'eglise que
troublait par moments un bruit de pas. Puis, tout a coup, comme si une
pendule eut sonne dans son coeur, elle eut un reveil de ses souvenirs,
tira sa montre, tressaillit en voyant qu'il allait etre quatre heures,
et se sauva pour prendre sa fille, qu'Olivier,
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